Maria Montessori

La pédagogie Montessori à la maison est un trésor de bienfaits !

Ces textes ont été écrits par Catherine Chemin, ancienne membre de CISE. Ils enrichissent désormais le site de LAIA en incitant à la réflexion.

Introduction

La pédagogie Montessori : un trésor de bienfaits !

La pédagogie Montessori est très utilisée par les familles instruisant à la maison, car elle représente un trésor de bienfaits pour les enfants.

Le premier trésor de l’enseignement Montessori, c’est que cette méthode convient parfaitement à tous les différents fonctionnements de l’enfant et respecte le rythme de chacun. Chaque nouvelle notion est abordée avec un matériel spécifique, ce qui permet à l’enfant, qu’il soit auditif, visuel ou kinesthésique, de comprendre en utilisant son mode d’entrée préféré, tout en étant invité à faire travailler ses autres entrées. Le matériel est conçu de façon à permettre à l’enfant de bouger (pour Maria Montessori, un enfant apprend en bougeant) et à ce que chaque difficulté soit isolée (exemple pour l’écriture : l’exercice consistant à chercher comment écrire un mot se fait avec des lettres mobiles et l’exercice consistant à chercher à se perfectionner dans le graphisme se fait en recopiant). Le matériel prévoit différentes étapes que chaque enfant effectuera à son rythme. Parfois, la présentation suffira pour l’assimilation de la notion, parfois l’enfant devra rester sur une étape quinze jours, trois semaines ou même un mois. Chacun avance à son rythme.

Le deuxième trésor de l’enseignement Montessori, c’est la conquête de l’indépendance et de l’autonomie de l’enfant. Grâce à des exercices de vie pratique et de vie sensorielle présentés à l’enfant dès 2 ans ½ – 3 ans, celui-ci va s’approprier les outils nécessaires à la construction de son MOI. En effet de 3 à 6 ans, l’enfant réclame à faire les choses par lui-même, tout seul, et il en ressent une grande joie intérieure. Maria Montessori connaissait ce besoin vital de l’enfant et y répondait en lui donnant du matériel pédagogique adapté à ses besoins de maîtrise gestuelle pour appréhender son environnement et la vie au quotidien. Chaque matériel est en lui-même une situation pédagogique avec un objectif pédagogique qui permet les apprentissages psychomoteurs, intellectuels et scolaires proprement dits. Basée sur l’éducation des sens, en priorité le toucher, cette méthode d’apprentissage répond au besoin fondamental de l’enfant de manipuler des objets (besoin fondamental pour 80% des enfants). Pédagogie sensorielle par excellence, elle permet donc à l’enfant de se construire dans le Réel, à partir de situations concrètes, pour, progressivement, par étape, en suivant le rythme d’acquisition de l’enfant, arriver à la maîtrise des connaissances scolaires abstraites d’une part, et à la maîtrise des gestes du quotidien d’autre part.

Le troisième trésor de l’enseignement Montessori, c’est le développement de la conscience individuelle de l’enfant. Chaque situation pédagogique s’exerce avec un matériel unique, toujours disponible, à la disposition d’un seul enfant à la fois. Nous avons donc une pédagogie individualisée. L’autonomie de l’enfant passe par la maîtrise de ses pulsions, par une richesse de la vie intérieure, ce que permet la pédagogie individualisée. En travaillant seul, en assimilant ce qu’il a appris, l’enfant prend plaisir à faire ce qu’il fait, et il éprouve une joie intérieure en se concentrant sur une tâche pour aboutir à une victoire gestuelle, à une conquête d’indépendance. C’est aussi une pédagogie non compétitive, basée sur l’observation, développant la concentration, l’application, le calme intérieur. En effet, Maria Montessori a un grand principe d’éducation : elle compare l’enfant à une « éponge » et parle ainsi de « l’esprit absorbant » de l’enfant. Ce principe est puissant dans sa méthode car c’est le pilier sur lequel repose cette dernière. L’environnement que l’on propose à l’enfant est donc primordial, et les premières présentations de chaque situation pédagogique également. Absorbant chaque geste et chaque parole, l’enfant s’imprègne et restitue à son tour le modèle que l’adulte lui a transmis. D’où le sérieux et le « solennel » des premières présentations du matériel pédagogique. En dehors de ces moments scolaires proprement dits, l’ambiance de vie en général est à privilégier puisque l’enfant s’imprègne comme une éponge de tout ce qui l’entoure. L’enfant a besoin de sécurité affective, de repères spatio-temporels fixes, de valeurs morales sûres qui vont l’aider à se construire dans sa personnalité. La famille l’aide à se construire de l’intérieur et en sécurité.

Qui est Maria Montessori ? Que nous enseigne-t-elle ?

Historique

Maria Montessori (1870-1952) fut la première femme médecin italienne en 1896 et elle a complété sa formation par des études en biologie, philosophie et psychologie. Nommée assistante à la clinique psychiatrique de Rome dès 1896, elle s’intéresse particulièrement aux enfants handicapés. Elle émit l’hypothèse que les soi-disant déficiences étaient peut-être liées aux conditions de vie inhumaines de ces enfants, et que la solution serait peut-être plutôt pédagogique que médicale. Effectivement, en leur offrant un environnement favorable, certains passèrent le certificat d’étude comme les autres. Puis, elle dirige une école d’orthophrénie pour adolescents déficients. Elle se passionne pour la pédagogie et étudie les écrits du docteur Itard et d’Edouard Séguin. Comme eux, elle pense que « le développement des sens réveille l’activité musculaire et motrice, et avec elle, l’intelligence ». Dans une classe d’application attachée à cette école, Maria Montessori élabore sa méthode dans une démarche expérimentale et scientifique. Les enfants évoluent librement dans « un environnement préparé » qui répond à leurs besoins en respectant les étapes de leur développement. Elle observe ce qu’elle appellera des périodes sensibles. Les progrès de ces élèves déficients (dits débiles à l’époque) font l’admiration de tous. Le ministre de l’Instruction publique italien Guido Baccelli lui confie les enfants défavorisés, livrés à eux-mêmes et non scolarisés, du quartier ghetto de San Lorenzo à Rome. La première « Casa del Bambini » naît en 1907 dans ce quartier défavorisé de Rome. Maria Montessori commence à concevoir une application de sa méthode aux enfants dits normaux pour les aider dans le développement de leur intelligence et de leur personnalité et développe alors sa pédagogie. L’expérience est un succès et d’autres « Casa del Bambi­ni » s’ouvrent en Italie. Grâce à ses activités d’enseignement, ses cours internationaux entre 1913 et 1951 et ses conférences de médecine, Maria Montessori fait connaître le résultat de ses recherches dans le monde entier. En 1934, elle quitte l’Italie et la dictature fasciste de Mussolini incompatible avec ses idées humanistes. Installée en Inde pendant la guerre, soutenue par Gandhi, Nehru et Tagore, elle participe à la formation des enseignants et contribue au gigantesque effort éducatif du gouvernement indien. En 1949, elle se fixe définitivement en Hollande où elle meurt le 6 mai 1952.

Maria Montessori est devenue une grande pédagogue par sa formation, son expérience et ses observations auprès des enfants en tant que médecin. Observations qu’elle a menées dans divers pays et de cultures bien différentes et qui lui ont permis de déterminer les besoins fondamentaux de tous les enfants. Ce sont tous ces enfants, a priori bien différent, qui lui ont révélé les connaissances qui lui ont permis de créer sa pédagogie. Elle a acquis la certitude que notre monde a un besoin urgent d’être reconstruit, et que cela ne peut passer que par un changement de l’éducation. Pour elle, l’enfant est capable de changer le monde si on lui permet de grandir en accord avec ce que la nature a prévu, car l’enfant est le constructeur de l’homme. L’éducation nouvelle doit avoir pour but principal de chercher à développer les potentialités humaines et cette éducation doit commencer dès la naissance.

Maria Montessori n’est pas une idéologue. Elle a fait partie du mouvement de l’éducation nouvelle qui s’est développé en Europe dans les années vingt, mais, très vite, elle s’en démarque en revendiquant sa particularité. Pour elle, il ne s’agit pas de réformer la pratique pédagogique, mais de considérer fondamentalement l’enfant autrement, afin qu’il puisse libérer ce potentiel qui est en lui.

Laure et Catherine Chemin

L'éducation commence dès la naissance !

En 1949, Maria Montessori écrit son dernier livre La formation de l’homme qui apparaît comme son testament spirituel et donne la clef de toute son œuvre. Son éditeur italien le présentait ainsi : « Ce volume nous livre son génie et son intelligence rigoureuse, fécondés par la plus vaste expérience qui soit. S’appuyant sur celle-ci, Maria Montessori nous offre un moyen de combattre la menace imminente qui pèse sur la civilisation, un moyen de sauver l’humanité. Ce salut, nous le trouverons précisément en nourrissant le jeune plant mystérieux qu’est le pouvoir inexploré se trouvant dans l’enfant ». D’ailleurs, plutôt que de parler de « pédagogie » Montessori, elle préférait la dénomination d’« aide donné à la personne humaine pour conquérir son indépendance » ou bien de « moyen qu’on offre pour se libérer de l’oppression due aux vieux préjugés véhiculés par l’éducation ». Car pour elle, c’est la personne humaine qui compte et non le genre d’éducation.

Dans cet ouvrage, Maria Montessori attire l’attention sur le fait que l’homme, même si, tout comme l’animal, participe au plan cosmique, diffère beaucoup de l’animal de part son hérédité. Chez les animaux, les caractéristiques sont définies à l’avance, les facultés d’adaptation sont minimes et les nouveaux nés sont bien souvent capables de marcher, s’exprimer, manger seul, et ce, encore plus particulièrement pour le singe. Alors que l’homme possède « un pouvoir d’adaptation illimité : il peut vivre sous toutes les latitudes et adopter d’innombrables façons de vivre et de travailler. Le genre humain est la seule espèce qui connaisse une évolution indéfinie de ses activités dans le monde extérieur, ce qui permet le développement de la civilisation »[1]. L’homme connaît un processus de développement permanent, l’hérédité ne lui transmet pas un comportement fixe. Une autre différence importante est la passivité du bébé contrairement aux autres petits mammifères. Ainsi, le petit du singe est capable, dès la naissance, de s’agripper à sa mère lorsqu’elle grimpe aux arbres, alors que le bébé homme reste complètement passif plusieurs semaines et met de longues années à devenir adulte. Plus d’un penseur contemporains de Maria Montessori s’est demandé pourquoi cette impuissance du nouveau-né, pourquoi l’homme devait avoir une enfance aussi longue, et ce qu’il pouvait bien se passer au cours de toutes ces années… Cette particularité de l’homme est, pour Maria Montessori, le témoignage d’une fonction spécifique qu’il convient de comprendre à travers l’observation de l’enfant. Le bébé ne possède pas de naissance tous les attributs de l’adulte, mais seulement la capacité à les former. C’est donc après la naissance que se construisent les caractères propres du peuple auquel l’enfant appartient et qu’il est capable de s’adapter à différents environnements. Par exemple, le langage n’existe pas en tant que tel à la naissance et n’est pas héréditaire. C’est la capacité du langage que l’enfant a à la naissance. Elle se développe au cours des deux premières années et permet à l’enfant d’adopter le langage des adultes qui l’entourent, qui peuvent ne pas être de même culture que ceux qui l’ont conçu. Au contraire, les enfants trouvés abandonnés en forêt sont restés muets. Les bébés absorbent le langage, non seulement le vocabulaire ou la forme grammaticale, mais également la complexité du genre pour l’italien ou même les accentuations parfois très subtiles comme pour le tamoul, ce qui s’avère très ardu pour un adulte. De même, un enfant sauvage qui n’a jamais vu marcher, ne marchera pas debout mais à 4 pattes.

Pour Maria Montessori, le bébé est un embryon spirituel doté de capacités à se développer, mais seulement en puisant dans l’environnement qui peut beaucoup varier selon le lieu de naissance.« Voilà pourquoi l’embryon humain doit naître d’abord pour pouvoir ensuite s’achever et se développer : ses potentialités doivent être stimulées par l’environnement »[2]. Le bébé (et l’enfant jusqu’à environ 6 ans) a besoin de puiser dans son environnement pour achever son développement. Il est donc doté de capacités extraordinaires qui lui permettent de poursuivre ce développement sans effort particulier. Cette capacité à se développer n’est donc pas la même que pour les adultes. Pour le petit enfant, Maria Montessori l’a appelé l’esprit absorbant qui se construit, non pas par la volonté, « mais guidé par des sensibilités internes que nous appelons les périodes sensitives, car ces sensibilités ne sont que temporaires, se maintenant juste le temps nécessaire pour que la nature accomplisse son œuvre »[3]. Cet esprit absorbant, qui perdure jusqu’à 6 ans, permet à l’enfant d’apprendre tout en vivant, tout simplement, sans effort particulier. Il absorbe dans son environnement, la réalité complexe de la culture. « C’est un phénomène qui reste caché dans les mystères de l’inconscient créatif »[4]. Les psychologues de son époque disaient même qu’il faudrait soixante années de travail acharné à un adulte pour acquérir tout ce qu’un enfant de 3 ans acquiert ! C’est vraiment le fonctionnement très particulier du petit enfant qui permet cela.

Ainsi « En l’espace de 18 ans, cette jeune fille (recueillie par une mission) est pratiquement passée de l’âge de pierre à l’ère atomique ». Maria Montessori nous dit encore « il est dirigé par la nature durant sa période de croissance, et les sensibilités psychiques qui le guident ont la force de lois naturelles ; s’y soustraire, c’est aller contre la nature, altérer la fonction, c’est-à-dire entrer dans la pathologie »[5]. Ce qui est corroboré par la psychanalyse de l’époque qui considère que les réactions de défenses et les déformations de caractères sont les conséquences de répressions subies au cours de l’enfance. Maria Montessori considère qu’une « période sensible est comme un accumulateur d’énergie qui laisse des traces aussi bien dans la construction que dans la destruction de la personnalité »[6].

Grâce à ses différentes observations Maria Montessori a donc observé chez tous les enfants, au-delà de leurs cultures et de leurs conditions sociales, différentes périodes bien distinctes qui développe chacune des propriétés différentes dont la construction est guidée par les lois de la nature. Le développement suit un ordre général analogue. « Si ces lois ne sont pas respectées, la construction de l’individu peut être anormale voire monstrueuse. Mais si l’on y veille, avec le souci de découvrir et de conforter les lois du développement, alors peuvent se manifester des caractères encore inconnus et surprenants dans lesquels on pourra progressivement entrevoir les fonctions internes mystérieuses qui dirigent la création psychique de l’homme. L’enfant a de grandes capacités dont nous ne savons pas encore tirer partie »[7]. L’erreur consisterait à aller à l’encontre des lois naturelles, d’étouffer ou de déformer le développement de l’enfant, du fait des préjugés actuels.

Pour Maria Montessori, la conclusion logique qui s’impose, après ses constatations, est qu’il faut que l’enfant soit mis en contact très rapidement avec le monde, qu’il participe à la vie publique, assiste aux coutumes de la société, prenne part à la vie des adultes, pour pouvoir s’adapter à son environnement. Mais à son époque, l’enfant était déjà enfermé très tôt en garderie, et donc, « soustrait à la vie sociale, réprimé, diminué, déformé et finalement sera anormal, incapable de s’adapter »[8]. Il y a soixante ans, elle s’étonnait déjà : « Aujourd’hui, alors que l’on dispense aux enfants tant de soins d’hygiène et que l’on se soucie de leur repos au point de les condamner à dormir presque constamment, on voit se multiplier le nombre des enfants ou des jeunes difficiles, retardés, dénués de personnalité et de courage, qui s’expriment mal, hésitent, s’interrompent, voire bégaient ; on voit de plus en plus de déséquilibrés, d’enfants souffrant de troubles psychiques qui paralysent leur vie sociale »[9]. Pour elle, c’est du à une malnutrition mentale et à un manque d’activité intelligente spontanée. « Le monde civilisé devient un immense camp de concentration dans lequel tous les jeunes être humains qui arrivent sur la terre sont relégués et mis en servitude, niés dans leur valeur, anéantis dans leur pulsions créatives, soustraits aux stimulations vivifiantes auxquelles tout homme a droit au milieu de ceux qui l’aiment »[10] (nous aborderons plus tard la vision de l’école et des apprentissages « scolaires » de Maria Montessori).

Au contraire, elle constate que dans un mode de vie naturel ou dit primitif, le bébé participe toujours à la vie sociale des adultes afin de construire en lui les caractères propres de son peuple. La mère le porte et le garde partout avec elle, que ce soit au champ, au marché… Le bébé peut observer tout à loisir tout ce qui se passe autour de lui, que ce soit les couleurs, les odeurs, les gens, les animaux… Par l’allaitement, le lien se poursuit. Elle constate que les pays où les enfants grandissent bien, les enfants sont, non seulement portés en permanence par leur mère, mais souvent allaités au moins 1 an, voire 2 ans, et c’est justement cette période qui intéresse le plus les psychologues modernes de son temps ! (Ils étaient d’accord pour dire que la première année de l’enfant était la plus importante pour la construction de sa personnalité). Pour elle, « le secret est simple et tient en deux mots : lait et amour ». Il est urgent de mettre en application « cette affirmation générale qui commence à envahir notre monde scientifique : l’éducation doit commencer dès la naissance »[11]. Pourtant, elle constate que tout ce qui est suggéré par l’instinct maternel a été supprimé ou ridiculisé, alors que c’est la nature qui l’inspire, comme par exemple les caresses et les contacts physiques de la mère qui pourraient éveiller l’instinct sexuel de celui qui vient de naître… « Les mères aujourd’hui (1949) ont grandement perdu cet instinct et l’humanité fonce vers la dégénérescence »[12]. Ces contemporains constataient quand même que les générations précédentes qui n’avaient pas ces connaissances formaient des êtres sains et forts.

Pour Maria Montessori, déjà à son époque, a commencé à se développer un mouvement social en faveur de l’enfant. La science y est certainement pour quelque chose, puisque les premiers grands changements se sont orientés sur l’hygiène qui a réduit fortement la mortalité infantile. Mais, pour elle, l’enfant demeure le grand oublié de la société. Elle affirme : « Qu’est-ce que l’enfant ? C’est le dérangeur de l’adulte fatigué par des occupations toujours plus pressantes. Il n’y a pas de place pour l’enfant dans la maison de plus en plus réduite de la ville moderne, où les familles s’entassent. Il n’y a pas de place pour lui dans les rues, parce que les véhicules se multiplient et que les trottoirs sont encombrés de gens pressés. Les adultes n’ont pas le temps de s’occuper de lui, quand la besogne est urgente… Il faut qu’il reste tranquille, qu’il se taise, qu’il ne touche à rien parce que rien n’est à lui. Tout est la priorité intangible de l’adulte, tabou pour l’enfant… L’adulte, par un phénomène psychique mystérieux, a oublié de préparer une ambiance pour son enfant… Voilà ce qu’on peut dire sur l’enfant qui arrive, apportant au monde des énergies fraîches ; elles devraient pourtant être le souffle purificateur qui, de génération en génération, chasse les gaz asphyxiants accumulés durant une vie humaine d’erreurs »[13]. Maria Montessori reconnaît qu’à son époque la société change pour se tourner vers l’enfant. Il faut vraiment, dit-elle dans L’enfant, travailler pour deux ambiances sociales, celle de l’adulte et celle de l’enfant. Pour construire l’ambiance sociale de l’enfant, il faut répondre aux réels besoins de l’enfant, sachant qu’il porte en lui le plan de son développement.

Elle affirme que l’homme « n’est pas destiné à se satisfaire des émotions de sa sensualité », mais a une grande mission à accomplir en construisant un nouveau monde merveilleux, car c’est l’humanité qui crée la civilisation. « Ses membres sont faits pour le travail et celui-ci est sans limite ». « Il semble de ce fait dans la nature de l’homme que l’enfant commence par l’absorption de son environnement et accomplisse son développement par le travail, par des expériences progressives sur l’environnement autour de lui ». Ainsi, il se construit, développe sa spécificité humaine en alimentant son esprit. Maria Montessori invite à « reconstruire l’éducation en la fondant sur les lois de la nature et non sur des idées préconçues et sur les préjugés des hommes »[14]. Pour cela, elle préconise un environnement adapté aux besoins de l’enfant en fonction de ces périodes sensibles. L’environnement propice au nourrisson est donc le monde !

Elle écrit aussi « L’enfant naît dans l’amour ; sa vraie origine est l’amour, et une fois né il est entouré de l’amour de son père et de sa mère, un amour qui n’est pas artificiel, ni forcé par la raison, comme le sentiment de fraternité que tous les gens réfléchis essaient d’éveiller. C’est seulement quand il s’agit de la vie de l’enfant que peut se trouver la forme d’amour qui est l’idéal de la morale humaine, l’amour qui inspire le sacrifice de soi, le dévouement au service des autres. Or, ce sacrifice que font les parents est quelque chose de naturel, qui donne de la joie, qui ainsi n’est pas ressenti comme un sacrifice ; c’est la vie même ! Mais c’est une manière de vivre plus élevée que celle qui trouve son expression dans la compétition sociale et la survivance du plus apte »[15].

A son époque, il est commun d’affirmer qu’il existe un déséquilibre : la société créée par l’homme, riche en progrès pour améliorer sa vie, l’empêche de se développer correctement et l’homme est devenu l’esclave de son environnement, alors qu’il se croit libre ! Il faut que l’homme ait pour seul but de s’élever. Pour cela, la pédagogie doit prendre appui sur la psychologie. Nous devons donc abandonner nos vieux préjugés, notre égoïsme inconscient, notre orgueil dominateur pour suivre, non pas la volonté de l’enfant, mais la mystérieuse volonté qui dirige sa formation, son élan vital, les valeurs de la sage nature. A la fin de sa vie, Maria Montessori ne pouvait que constater : « Ils n’ont encore rien compris ! ». Pourtant, si elle a eu la force de se battre pendant cinquante ans, c’est uniquement parce qu’elle était persuadée que l’humanité pouvait s’améliorer et elle a toujours gardé une grande espérance.

Catherine Chemin

[1]La formation de l’Homme– 1949

[2]La formation de l’Homme– 1949

[3]La formation de l’Homme– 1949

[4]La formation de l’Homme– 1949

[5]Les étapes de l’éducation

[6]Les étapes de l’éducation

[7]La formation de l’Homme– 1949

[8]La formation de l’Homme– 1949

[9]La formation de l’Homme– 1949

[10]La formation de l’Homme– 1949

[11]La formation de l’Homme– 1949

[12]La formation de l’Homme– 1949

[13]L’enfant– 1936

[14]La formation de l’Homme– 1949

[15]Education pour un monde nouveau– 1943

CISE, Choisir d’Inst

0 – 3 ans : début de l’autonomie

Les besoins de l’enfant : première année

Déjà à l’époque de Maria Montessori, les psychologues affirment que la naissance doit être un choc qu’ils appellent « terreur de la naissance ». Ce choc peut être aggravé par la manipulation de l’enfant qui suit la naissance : nettoyage, habillage… mais aussi le soulever ou le déplacer trop rapidement. « On reconnaît aujourd’hui (1943) que des défauts de caractères présentés par l’enfant dans son développement ultérieur sont la conséquence de cette ‘’terreur de la naissance’’ ; une transformation psychique a lieu, et, au lieu d’être normal, le développement de l’enfant se poursuit selon une ligne erronée. Les défauts qui ont cette origine ont été groupés sous le terme ‘’régressions psychiques’’ : ces êtres sont caractérisés par un recul devant la vie, comme s’ils restaient attachés à quelque chose qui existait avant la naissance, et sentaient une répulsion pour le monde »[16]. Le bébé a besoin d’être manipulé et déplacé avec beaucoup de douceur, et si possible, uniquement par sa mère.

Maria Montessori constate que l’état embryonnaire perdure après la naissance : « L’enfant nouveau-né est loin d’être complètement développé : même physiquement il est incomplet. Les pieds, destinés à marcher sur la terre et peut-être à envahir le monde entier, sont encore sans os, cartilagineux ; le crâne, qui renferme le cerveau et devrait le protéger solidement, n’a que quelques os de formés. Point encore plus important, les nerfs ne sont pas achevés, si bien qu’il y a un manque de direction centrale et d’unification entre les organes, et par conséquent pas de mouvement, tandis que les nouveaux-nés des autres créatures peuvent se mouvoir et marcher presque immédiatement »[17]. Elle appelle la période de 0 à 3 ans, l’embryon spirituel.

Pendant les premiers mois de sa vie, au cours desquels nous pensons qu’il ne se passe rien, d’une part le développement physique de l’embryon s’achève, les nerfs s’unifient, le crâne s’ossifie, et d’autre part, c’est là que l’enfant enregistre et emmagasine dans sa tête toutes les informations qu’il peut observer et qui servent à son développement. Le cerveau est donc très actif dès la naissance, l’enfant a besoin d’observer son environnement, afin d’assimiler le présent d’une vie en évolution. C’est, en fait, la période d’activité psychique la plus importante ! Le premier organe qu’il utilise pour cela est l’œil. Déjà à son époque, Maria Montessori pense que c’est une erreur d’enfermer un enfant avec une nurse. Quand celle-ci le promène, c’est dans un landau avec une capote qui l’empêche « de se régaler les yeux avec quelque chose de plus intéressant que la figure d’une nurse »[18]. Que dirait-elle aujourd’hui des enfants enfermés en crèche toute la journée, sans forcément pouvoir aller gambader dans un jardin, dans lequel ils ne pourraient, de toute façon, que jouer au ballon ? Elle constate, déjà à l’époque, qu’ils peuvent devenir « apathiques et tristes ou bien ils réagissent par des crises de larmes et des accès de colère, parce qu’ils souffrent d’inanition mentale, ou sont au moins mentalement sous-alimentés. Plus heureux est l’enfant qui va partout avec sa mère, dans les rues et au marché, dans les trams et les bus, qui peut écouter et regarder et ainsi emmagasiner des impressions d’un immense intérêt, en se sentant toujours en sécurité entre les mains de son protecteur naturel »[19]. D’ailleurs, elle affirme aussi dans L’esprit absorbant de l’enfant que le bébé, ainsi transporté par sa mère, pleure rarement, à moins d’être malade. Alors que le bébé qui n’est pas ainsi porté, pleure souvent. C’est un problème des pays occidentaux, le bébé s’ennuie et pleure, alors que l’adulte pense qu’il a besoin d’exercer sa voix… Le bébé a besoin d’observer et d’être actif. L’enfant est naturellement attiré par son environnement et est poussé à le conquérir. Il l’absorbe, et ensuite, l’analyse.

Au cours des premiers mois, et cela se retrouve dans plusieurs de ses ouvrages, elle insiste sur le fait que la place du bébé est auprès de sa mère. Cela correspond à un premier stade, qui, une fois passé, permet à l’enfant de s’adapter facilement au monde qui l’entoure, et l’aide à cheminer vers l’indépendance. Car, l‘enfant qui se développe normalement pour Maria Montessori « montre des tendances qui sont nettement dirigées vers l’indépendance. Le développement se fait par conquête d’une indépendance toujours plus grande en surmontant chacun des obstacles rencontrés »[20]. Elle invite les mères à être attentives à ce qui plait à l’enfant, et de lui permettre de le contempler aussi longtemps que cela lui plait.

Les premiers phénomènes d’indépendance apparaissent vers trois mois avec la préhension, puis vers six mois : le commencement de sécrétion par l’estomac de l’acide nécessaire à la digestion (introduction de nourriture autre que le lait maternel), l’apparition de la première dent, les premières syllabes, puis vers un an avec la marche. D’ailleurs, en ce qui concerne la marche « le pouvoir de se tenir debout sur deux jambes et de marcher en position verticale dépend du développement d’une partie du cerveau appelé le cervelet, dont la croissance très rapide débute vers six mois et qui continue à se développer rapidement jusqu’à ce que l’enfant ait quatorze ou quinze mois. En concordance exacte avec cette croissance, l’enfant s’assied à six mois, commence à marcher à quatre pattes à neuf mois, se tient debout à dix, fait ses premiers pas entre douze et treize mois, tandis qu’à quinze mois il marche avec assurance. Un second facteur de cette conquête de la marche est l’achèvement de certains nerfs spinaux, par lesquels passent les messages du cervelet aux muscles ; et encore un troisième facteur est l’achèvement de la structure osseuse des pieds, et celle du crâne pour que le cerveau soit protégé en cas de chute »[21].

Pour Maria Montessori, le bébé a également besoin d’ordre. Les objets qui l’entourent par exemple lui servent de repère. Un objet déplacé « peut le bouleverser et provoquer chez lui une violente crise de larmes, que l’on appelle communément un ‘’accès de colère’’. Ce genre de sensibilités, dont nous n’avions généralement pas la moindre idée, et qui souvent s’expriment violemment, l’aident à acquérir certains comportements »[22].

Deuxième année

L’être physique approche de son achèvement, et le mouvement commence à être déterminé. L’enfant commence à marcher. Et un paradoxe voit le jour : nombreux sont les parents qui sont pressés de voir leur enfant marcher, fier lorsque enfin il y parvient, mais dès ce moment, l’empêche d’aller où il veut. Maria Montessori affirme que de même qu’il est inutile de vouloir que l’enfant marche avant son heure, il est absurde d’aller contre la nature en l’empêchant de marcher quand le moment est venu ; aussi, l’aider à marcher est un obstacle à son développement.

Peu à peu, l’enfant fait la différence entre lui et le monde. L’observation de l’environnement a éveillé l’intérêt de l’enfant, et à la capacité de préhension s’ajoute le désir. « Il commence à exercer sa main en changeant les objets de place autour de lui, en ouvrant et en fermant les portes, en tirant les tiroirs, en mettant des bouchons aux bouteilles, … Grâce à ses exercices il acquiert de l’habileté ».[23] C’est avec ce genre d’activité que l’enfant découvre le monde social qui l‘entoure.

Vers 18 mois, l’enfant a besoin de se muscler le corps, et besoin de faire l’effort maximum pour effectuer quelque chose. Il répond à son besoin vital de commencer à coordonner l’équilibre et l’usage des mains. Pour cela, il aime déplacer des objets, surtout des objets volumineux comme des chaises ou des tabourets, souvent disproportionnés à sa taille. Il est capable d’en transporter d’un bout à l’autre de la pièce plusieurs fois de suite jusqu’à épuisement total. Il est évident pour Maria Montessori, que l’enfant n’a surtout pas besoin d’aide dans ces moments là, puisque le but est de renforcer son corps et de coordonner ses mouvements, mais d’être encouragé !

Vient ensuite une période d’imitation. L’enfant veut commencer à manger seul. Là encore, pour Maria Montessori, beaucoup s’épuisent à les en empêcher, alors qu’ils se battent contre la nature et pas contre la volonté de l’enfant. Pour elle, cela fait parti du besoin d’autonomie de l’enfant. Non seulement il veut, mais, surtout, il a besoin de faire seul, d’agir en toute indépendance. L’enfant arrivera d’autant mieux à imiter, qu’il se sera préparé. Cette préparation s’opère lorsque l’enfant réalise des efforts pour effectuer une tâche. C’est pour cela qu’il est primordial que l’adulte d’une part n’aide pas l’enfant et d’autre part ne l’interrompt pas au cours de son activité. « Il faut qu’il mène son activité jusqu’au bout. Il y a un besoin vital d’achèvement de l’action et si on brise cet élan des déviations se manifestent par rapport à la normalité et l’enfant est sans but… Les adultes ne devraient donc pas intervenir pour arrêter une activité enfantine, aussi absurde soit-elle, tant qu’elle ne met pas trop en danger la vie ou les membres ! »[24].

« Ainsi apparaît la logique du développement naturel : l’enfant prépare d’abord ses instruments, mains et pieds, puis il acquiert de la force par l’exercice, ensuite regarde ce que font les autres et se met au travail en les imitant ; c’est ainsi qu’il se prépare à la vie et à la liberté »[25].

Vers la fin de la deuxième année, l’enfant aime beaucoup marcher et se révèle un grand marcheur. Il a besoin de faire de longues marches. L’adulte préfère le porter ou le mettre dans une poussette… « Il ne peut pas marcher : on le porte ; il ne peut pas travailler : on le fait pour lui ! Au seuil de la vie, nous adultes nous lui donnons un complexe d’infériorité »[26]. Mais marcher pour un petit n’est pas du tout la même chose que pour l’adulte. Le petit marche sans but préétabli. Ce sont toutes les choses intéressantes qui jalonnent sa route qui le font avancer, il est guidé par ce qui l’attire. Comme dans tous les secteurs de l’éducation, l’adulte devrait simplement suivre l’enfant. C’est l’aide dont l’enfant a besoin : que l’adulte le suive, « en l’initiant aux couleurs, aux formes de feuilles, aux habitudes des insectes, des animaux, et des oiseaux »[27]. C’est un des moyens concrets par lequel l’enfant fait travailler son corps en même temps que son esprit. Pour elle, ces deux activités devraient toujours être liées : mouvement du corps ou au moins de la main et travail de l’esprit. D’ailleurs, elle affirme : « la main est l’outil de l’esprit ».

Le langage

C’est l’exemple typique qui montre que l’enfant naît avec la capacité d’apprendre, mais qu’il apprend réellement le langage au cours des deux premières années de sa vie. C’est ce qui permet à un enfant d’apprendre le langage de ses parents, même si ce ne sont pas ses géniteurs et que leur langage est très différent. Maria Montessori explique que, selon les psychologues de son époque, l’ouïe est le sens le plus lent à se développer. L’homme a des centres spécialement conçus pour le langage. Dans le cortex du cerveau il y a deux centres, l’un auditif pour entendre le langage et l’autre moteur pour produire le langage. Le centre auditif est en relation avec l’oreille. Mais ce mécanisme étant uniquement prévu pour le langage, seuls les sons du langage parviennent dans la partie apte à produire le langage. Ce qui a pour conséquence que l’enfant ne reproduira pas d’autres bruits dans son langage, comme des bruits d’animaux par exemple pour des enfants vivant dans une ferme, et c’est aussi pour cela que des enfants abandonnés dans la jungle, et ayant survécu, sont restés muets. Ils n’avaient entendus aucun bruit relatif à leur « langage humain, lequel pouvait, seul, provoquer le mécanisme du langage parlé »[28].

Elle observe dans différents pays que « le langage vient naturellement, comme une création spontanée et il est frappant de voir à quel point son développement suit des lois définies, pour atteindre certains paliers à des moments bien déterminés ; de plus, ceci est vrai pour tous les enfants, que le langage de leur race soit simple ou complexe. Pour tous les enfants il y a une période où ils parlent seulement par syllabes, puis une autre où ils disent les mots de plus d’une syllabe ; et finalement ils semblent avoir saisi toute la syntaxe et la grammaire… On constate que le progrès n’est pas régulier, ni graphiquement linéaire, mais qu’il se produit par bonds, si bien qu’entre la conquête des syllabes et celle des mots, il s’écoule des mois, pendant lesquels il ne semble y avoir aucun progrès. De nouveau, l’enfant semble à un point mort, n’utilisant que quelques mots pendant longtemps, mais dans sa vie intérieure il y a un grand progrès continu qui aboutit soudain à ce que les psychologues appellent un phénomène d’explosion. A la même période de la vie, pour chaque enfant, se déclenche subitement une cascade de mots, tous prononcés parfaitement. En trois mois, les enfants emploient avec facilité les tournures et les particularités linguistiques, et tout ceci se produit vers la fin de la seconde année pour l’enfant normal de quelque race qu’il soit. Ces phénomènes continuent après l’âge de deux ans avec la maîtrise des phrases complexes, celle des temps et modes de verbes et des difficultés syntaxiques apparaissant chacune à son tour, de la même manière explosive, jusqu’à ce que l’explosion du langage soit complète. C’est seulement alors que ce trésor préparé par le subconscient est transmis au conscient.»[29].

Lorsque l’enfant est prêt à parler, nous devons favoriser son expression. « Il ne s’agit pas simplement de plaire à l’enfant mais de coopérer à l’ordre de la nature »[30]. A l’époque de Maria Montessori, les tétines pour les bébés n’existaient pas. Nous pouvons nous demander si elle aurait partagé l’avis de Joseph Vaillé[31] qui affirme dans le cahier de l’éducation n°14 de juillet 2008 que la tétine empêche le bébé de babiller, alors que ce phénomène vital fait parti intégrante de l’apprentissage du langage.

Maria Montessori pense que c’est une erreur d’enfermer un enfant avec une nurse, qui lui parle peu par mesure d’hygiène. Que dirait-elle aujourd’hui des enfants enfermés en crèche toute la journée et qui n’entendent parler principalement que de jeunes enfants qui essayent également de développer leur langage ? Les adultes qui les entourent n’ont pas vraiment la possibilité de leur apporter beaucoup de vocabulaire nouveau et de les reprendre lorsque leur prononciation ou leur syntaxe n’est pas correcte. De la richesse de l’environnement, dépend la richesse du langage de l’enfant. A l’époque, Maria Montessori affirmait que même dans des circonstances défavorables l’enfant arrivait à plusieurs milliers de mots à 5 ans ce qui aide pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Il y a une dizaine d’années, des spécialistes préconisaient 3000 mots pour aborder l’apprentissage de la lecture, et nous savons que beaucoup d’enfants arrivent aujourd’hui au CP avec seulement 500 ou 1000 mots… Pour elle, le langage ne s’enseigne pas, il se développe. Encore faut-il que l’environnement soit porteur.

Maria Montessori a constaté que la période autour de 18 mois, 2 ans peut être très difficile pour l’enfant, qui réalise qu’il peut être compris par les adultes à travers le langage, mais qui n’arrive pas encore à trouver les mots dont il a besoin. « L’enfant est alors le théâtre d’une grande lutte entre son conscient et son mécanisme »[32]. Cela peut provoquer une très grande agitation. Pour elle « l’agitation est une partie intégrante de la vie des enfants et ceci est largement imputable à l’incompréhension de l’adulte. Le fait est qu’il y a une richesse intérieure qui cherche à s’exprimer, et n’y arrive qu’au travers de grandes difficultés, dues à la fois à l’environnement et aux propres limitations de l’enfant »[33]. Le petit enfant est naturellement porté vers les adultes car il a besoin d’entendre parler, d’être pris dans un bain de langage. Mais les adultes préfèrent parler entre eux. Pour Maria Montessori, c’est une erreur que de s’exprimer en langage de bébé, cela n’apporte aucune aide à l’enfant qui recherche et a besoin, au contraire à ce moment là, de la richesse du langage.

« Les obstacles rencontrés à ce moment auront des effets permanents, puisque toutes les impressions de cet âge sont enregistrées pour toujours. Les adultes souffrent souvent de difficultés d’élocution qui vont de l’hésitation et du manque de courage jusqu’au bégaiement ; ces défauts sont nés au moment où s’organisaient les mécanismes de la parole. Ces régressions se produisent à cause de la sensibilité de l’enfant ; tout comme il est sensible à ce qui l’aide à créer, de la même manière il est aussi sensible aux obstacles qui sont au-delà de ses forces, et cette sensibilité le suivra comme un défaut tout le reste de sa vie. Toute forme de violence, en parole ou en action, cause un tort irréparable à l’enfant… Bien des craintes absurdes et des habitudes nerveuses qu’on trouve chez les adultes remontent ainsi à quelque violence faite à la sensibilité de l’enfant »[34].

Il est important de noter que Maria Montessori ne parle pas de ce que mettent en avant beaucoup de psychologue actuels à savoir la « fameuse phase du non ». En effet, il est courant d’entendre parler de la période où, vers deux ans, l’enfant dit non en permanence, même pour des choses qui s’emblait ne poser aucun problème jusque là. Certains psy parle même de crise d’opposition. Par contre, certains psychologues[35], plus rares, n’en parlent pas, mais ceux-là mettent en avant le fait qu’il est important de ne pas dire trop de non au jeune enfant. Paul Lemoine va même jusqu’à affirmer qu’il ne faudrait pas dire plus de un non pour dix oui. La raison étant qu’il n’est pas bon de noyer l’enfant dans des interdits, et que ceux-ci prennent bien plus d’importance dans la vie de l’enfant que tout ce qui est positif. Mieux vaut privilégier l’environnement par exemple afin d’éviter les interdits et de les introduire dans la vie de l’enfant petit à petit. L’enfant reproduirait-il simplement ce qu’il entend ? Beaucoup de familles instruisant leurs enfants n’ont pas connu cette fameuse phase de « non » avec aucun de leurs enfants. Ces familles, en général, laissent aller les tout petits dans la maison qui est aménagée pour que le moins possible d’objets à leur portée soit dangereux ou que leur déplacement soit ennuyeux pour les parents, afin de limiter les interdits à un strict minimum. Ces familles, de fait, disent rarement non.

Troisième année : activités autonomes !

L’enfant possède de grandes capacités qui se perdent chez l’adulte. L’enfant a le pouvoir de bâtir l’homme lui-même. « Qu’est-ce que l’adulte doit donc faire face à cet embryon spirituel ? Il doit simplement lui permettre de faire par lui-même ses propres conquêtes. Si l’enfant n’a pas la possibilité de faire usage de son intelligence, elle s’atrophie. L’enfant a besoin d’avoir quelque chose à faire, de disposer des objets sur lesquels il puisse agir. Mettre de tels objets à sa portée, c’est créer un environnement sur lequel il puisse agir. Quand cet environnement doit-il être créé autour de lui ? Dès que l’enfant commence à se mouvoir. Généralement, les adultes empêchent l’enfant d’être actif et pensent qu’ainsi ils le ‘’forment’’. L’adulte est un dictateur. Un dictateur veut que les autres obéissent à sa volonté et refuse de tenir compte de leur personnalité »[36].

Les premières années de l’enfant représentent la période de formation de l’intelligence et de la personnalité. C’est à travers sa propre expérience qu’il essaye de développer son esprit, puis il va commencer à chercher le pourquoi des choses. Au cours de cette troisième année, pour se construire et se perfectionner, l’enfant a particulièrement besoin de pouvoir réaliser des activités autonomes. L’enfant est naturellement porté à exercer son habileté à travers des tâches nécessaires à son développement et il veut tout faire entièrement par lui-même. Par exemple, il sait déjà manger seul et veut maintenant s’habiller et se déshabiller seul. Il veut aussi participer activement à la vie de son environnement. L’enfant n’aime ni rester sans rien faire ni faire des choses inutiles.

Maria Montessori essaye de nous faire comprendre que donner une certaine liberté à l’enfant est indispensable pour l’aider à construire sa personnalité. La liberté pour l’enfant consiste à le laisser agir de manière autonome. C’est comme cela que se formera son individualité. Cette individualité ne peut se former si l’enfant ne peut agir par lui-même. Maria Montessori va jusqu’à affirmer que la société ne peut pas se développer si les personnes manquent d’autonomie et qu’ainsi les différentes individualités ne peuvent se former. La société « est fondée sur des individualités distinctes. Autrement, il n’y aurait pas de sociétés, mais seulement des colonies animales ».

A partir de ses observations, Maria Montessori conclut « Nous disons que la société doit rendre à l’enfant la liberté complète, doit assurer son indépendance, mais il ne faut pas confondre cet idéal de liberté et l’indépendance avec le concept vague des adultes qui utilisent ces mots. En réalité, la plupart des gens ont une bien misérable idée de ce que signifie la liberté. C’est en donnant la liberté et l’indépendance que la nature donne la vie, mais elle les assortit de lois déterminées en accord avec les besoins spécifiques du moment. La nature fait de la liberté une loi de la vie – notre seul choix étant d’être libre ou de mourir. L’aide que nous offre maintenant la nature pour comprendre notre vie sociale, c’est l’observation de l’enfant en qui se manifeste le réel. L’indépendance n’est en rien statique, c’est une conquête continuelle, l’acquisition par un travail infatigable, non seulement de la liberté, mais de la force et de l’autoperfection. En donnant la liberté et l’indépendance à l’enfant, nous libérons un travailleur qui est poussé à agir et qui ne peut vivre sinon par son activité, puisque telle est la manière d’exister de tous les êtres vivants. La vie est activité, et c’est seulement par l’activité que la vie peut chercher et trouver sa perfection »[37]. Pour elle, présenter « comme idéal une réduction des heures de travail ainsi que le travail des autres pour nous, ces aspirations sont les caractéristiques naturelles d’un enfant dégénéré qui fuit la vie »[38].

Maria Montessori accorde une très grande importance au développement du mouvement qui ne doit pas être dissocié de la pensée, la vie physique doit être liée à la vie mentale car c’est par l’action ou le travail que l’esprit arrive à s’élever. La perfection du mouvement est innée chez les animaux, mais pas chez l’homme. Elle s’acquiert par des expériences pratiques dans l’environnement et la coordination doit être établie et perfectionnée. L’habilité de l’homme n’est pas limitée, mais se développe par la volonté. Ainsi, les hommes ont chacun leur spécificités alors que les animaux d’une même espèce font la même chose. Le manque de travail peut engendrer une atrophie de l’esprit. Au contraire « Il est certain que l’intelligence de l’enfant atteindra un certain niveau de développement sans le concours de la main mais, avec ce concours, elle atteindra un plus haut niveau encore et l’enfant qui s’est servi de ses mains a toujours une personnalité plus forte. Si les circonstances sont telles qu’il ne peut se servir de ses mains, l’enfant demeure une personnalité mineure, incapable d’obéissance ou d’initiative, paresseux et triste, tandis que l’enfant qui peut travailler avec ses mains affirme son caractère »[39]. La main est l’outil de l’esprit. Il faut toujours donner à l’enfant un travail à faire avec ses mains tandis qu’il travaille avec sa tête, afin qu’il reste en contact avec la réalité. Ainsi, « Se substituer à l’enfant dans l’accomplissement de ses actions formatrices, avec la louable intention de l’aider, n’est pas ce dont il a besoin ».

Pour Maria Montessori, le plus grand problème des parents est l’obéissance. « Faut-il le traiter avec gentillesse ou sévérité ? L’adulte n’en sait rien et, de ce fait, est tantôt indulgent, tantôt strict, mais, dans un cas comme dans l’autre, il n’arrive pas à se faire obéir et l’enfant ne modifie pas sa façon d’agir. Le problème ne réside donc pas dans la façon dont l’enfant doit être traité par les adultes. La vraie question est l’environnement que nous offrons aux enfants. Nous devons construire pour l’enfant un environnement dans lequel il puisse être actif ! »[40].

Maria Montessori affirme que des comportements considérés normaux en général comme le mensonge, le désordre, l’étourderie, la révolte, les accès de mauvaise humeur, la paresse… disparaissent dans un environnement qui permet l’activité autonome, constructive, calme et stimulant son intelligence. D’ailleurs, les comportements énumérés ci-dessus sont pour elle parfaitement anormaux et sont le signe que les enfants sont entravés dans leurs activités et leur processus de développement, ils sont donc déformés. Ce sont ces déformations qui, par exemple, poussent l’homme à posséder et à entrer en conflits avec les autres. Pour Maria Montessori les enfants sont normaux lorsqu’ils peuvent agir librement car le fait de pouvoir agir librement guérit de toutes déformations psychiques, libère l’enfant qui devient maître de ses propres dynamismes. Maria Montessori reçoit cette révélation de l’enfant qu’il est capable de développer sa personnalité dans deux directions : l’homme qui aime, qui travaille harmonieusement avec les autres, et l’homme qui possède, qui est asservi et se rend esclave de ses propres possessions. Elle ajoute que l’enfant qui se développe harmonieusement renouvelle les énergies de l’adulte. A son époque, les parents des enfants de son école ont remarqué que leurs petits étaient moins malades. En effet, des maladies comme l’anémie, les dérangements digestifs ou des troubles psychiques disparaissent également lorsque les enfants peuvent exercer leur besoin intérieur de se développer en étant actifs. L’enfant se révèle un grand travailleur. « Le travail est l’instinct le plus fondamentale de l’homme ».

Maria Montessori pense que le plus grand plaisir de l’homme est, non pas de posséder, mais d’utiliser, transformer, améliorer son environnement, afin de progresser lui-même. L’homme a besoin qu’une harmonie se crée entre lui et la nature : l’homme transforme les objets et l’utilisation des objets le transforme. C’est une relation d’amour qui doit s’instaurer dès l’enfance envers la nature, et cette relation d’amour l’entraîne à entrer en collaboration avec les autres.

C’est pour toute ces raisons que Maria Montessori soutient que le meilleur enseignement ne peut venir d’une transmission d’un maître vers des enfants, mais de l’environnement lui-même. L’enfant a besoin d’objets pour agir, les objets alimentent son esprit. C’est pour cela qu’elle a été amenée à concevoir une pédagogie où toute notion est représentée par un objet. Mais avant cela, Maria Montessori s’attache à développer les sens de l’enfant. C’est à partir de 2 ans que l’enfant commence à agir par les activités de vie pratique et de vie sensorielle conçue par elle. L’enfant a besoin à cette période de travailler l’indépendance de ses jambes et de ses bras.

A titre informatif, voici les activités de vie pratique proposées par Maria Montessori entre 2 et 3 ans qui permettent à l’enfant de travailler la coordination et précision des gestes, ainsi que le développement musculaire : se laver les mains, se coiffer, balayer, épousseter, plier des mouchoirs, porter un plateau vide, puis une chaise, verser des grosses graines, puis des petites graines, puis de l’eau, ouvrir et fermer des cadres à gros boutons, puis à fermeture éclair de jupe, à petit boutons, à fermeture éclair blouson, ouvrir et fermer toutes sortes de boîtes, visser et dévisser des bouchons…

Les activités de vie sensorielle de Maria Montessori sont proposées quelques mois après avoir commencé les activités de vie pratique : sac à mystère, tri de boutons par forme, par couleur, planche rugueuse, boîte de couleur, emboitements cylindriques, tour rose, binôme, trinôme, triangles constructeurs, tiroirs de géométrie, petits volumes. Ces activités développent les sens, acuité visuelle et tactile, et la précision du geste. Pour chaque matériel, l’enfant peut se contrôler seul. L’enfant a toujours besoin à cette période d’entendre parler, d’être pris dans un bain de langage riche.

Les adultes doivent créer l’environnement adéquat de l’enfant, être une source d’aide et non un obstacle. Ils ont pour rôle, par exemple, de montrer à l’enfant comment utiliser correctement les objets, d’observer l’enfant et de proposer de nouvelles choses au moment opportun. Le matériel déjà montré restant à disposition de l’enfant, ce dernier peut le refaire autant de fois qu’il le souhaite. D’une manière plus générale, pour que l’enfant puisse faire seul, il faut que ce qu’il est capable d’utiliser soit à sa portée. Si l’enfant doit demander à un adulte ce dont il a besoin pour faire son activité, il aura vite fait de se tourner vers une autre activité entre temps et il n’arrivera pas à se fixer sur quelque chose. Si l’adulte intervient trop, l’enfant peut dévier ou arrêter le chemin qu’il avait à suivre. L’adulte doit intervenir le moins possible. Au contraire, l’enfant qui a la possibilité de se mettre seul en activité, sans avoir recours à un adulte et sans être dérangé, pourra devenir calme, centré sur son idée et capable de se concentré, et de rester concentrer bien plus longtemps que ce que pourrait imaginer un adulte.

Lorsque l’enfant dévie, c’est là qu’il peut devenir ce que l’adulte nomme « capricieux ». Il ne peut faire ce dont il a besoin à causes d’obstacles qui se dressent devant lui.

La troisième année est une période où l’adulte doit permettre à l’enfant d’avoir des activités autonomes, de voir ses initiatives encouragées, de choisir son activité, de la refaire aussi longtemps qu’il le désire. L’adulte doit permettre à l’enfant de mener à bien une tâche si minime soit-elle en respectant son travail et sans le déranger. Pour cela, l’adulte prépare un environnement adapté afin que l’enfant ne soit pas obligé de solliciter l’adulte en permanence et qu’il puisse développer une réelle autonomie. L’enfant a besoin d’objets pour agir, les objets alimentent son esprit. Le meilleur enseignement ne peut venir d’une transmission d’un maître vers des enfants, mais de l’environnement lui-même. L’adulte doit observer l’enfant et se laisser guider par lui.

Catherine Chemin

[16]Education pour un monde nouveau– 1943

[17]Education pour un monde nouveau– 1943

[18]Education pour un monde nouveau– 1943

[19]Education pour un monde nouveau– 1943

[20]Education pour un monde nouveau– 1943

[21]Education pour un monde nouveau– 1943

[22]L’éducation et la paix– 1949

[23]Education pour un monde nouveau– 1943

[24]Education pour un monde nouveau– 1943

[25]Education pour un monde nouveau– 1943

[26]Education pour un monde nouveau– 1943

[27]Education pour un monde nouveau– 1943

[28]Education pour un monde nouveau– 1943

[29]Education pour un monde nouveau– 1943

[30]Education pour un monde nouveau– 1943

[31]Il est coauteur de Exercices de concentration et Mathématiques pour tous avec Elisabeth Nuyts

[32]Education pour un monde nouveau– 1943

[33]Education pour un monde nouveau– 1943

[34]Education pour un monde nouveau– 1943

[35]Par exemple : Paul Lemoine ou Ross Campbell

[36]L’éducation et la Paix– 1939

[37]Education pour un monde nouveau– 1943

[38]Education pour un monde nouveau– 1943

[39]Education pour un monde nouveau– 1943

[40]L’éducation et la Paix– 1939

3 – 6 ans : construction de la confiance en soi

La période de 3-6 ans est aussi une période très importante. L’enfant passe du « je » au « nous ». C’est l’embryon social. Elle correspond à des périodes sensibles dont celle du langage qui a déjà commencé, mais qui se développe le plus ici pour s’achever vers 7 ans. Maria Montessori, suite à son expérience avec les enfants défavorisés du quartier de San Lorenzo, a une conception de cette période radicalement opposée à celle de l’Instruction publique de l’époque (qui n’a guère changée).

Au cours de cette période, l’enfant continue à développer ses différents sens et les coordinations et précision des gestes à travers le matériel sensoriel et de vie pratique qui lui est proposé : les cadres à petit boutons, à boutons pression, à fermeture éclair blouson, les versés d’eau avec un entonnoir entre une grande bouteille et plusieurs petites, les graduations de température, les boites à bruits (graduation du son) puis les clochettes… Par les sens, l’enfant développe son intelligence. Avec ce matériel, l’enfant se prépare également indirectement à l’écriture. En effet, il apprend à toucher de gauche à droite, de bas en haut et en faisant des cercles dans le sens antihoraire.

Après avoir absorbé le langage de son environnement les deux premières années de sa vie, nous avons vu que l’enfant commence à s’exprimer vers 2 ans. A partir de 3 ans, le langage se met vraiment en place dans la tête de l’enfant, que ce soit le vocabulaire, la grammaire, les inflexions ou la syntaxe. Si un enfant de moins de 7 ans va dans un pays étranger, il est capable d’assimiler parfaitement la langue de ce pays.

Les enfants des écoles Montessori ont généralement envie d’apprendre à écrire dès 3 ans 1/2, car l’apprentissage de l’écriture fait partie de la période sensible du langage puisque c’est la représentation graphique de ce même langage. En effet, avec sa pédagogie, l’enfant découvre le son des lettres en les touchant et sans avoir besoin de les écrire. Au début, Maria Montessori les présentait une à une, sans aucun effet. Un jour, elle fait graver en creux dans du bois les lettres, et laisse les enfants suivre ces creux avec leurs doigts. Elle s’aperçu que les enfants les reconnurent immédiatement. « Ainsi ai-je réalisé que le sens du toucher était d’une grande aide aux enfants pas encore complètement développés »[41]« C’était surprenant, cependant facile à expliquer. Les lettres étaient un stimulus qui illustrait le langage déjà présent dans l’esprit de l’enfant et l’aidaient à analyser ses propres mots. Quand un enfant savait seulement quelques lettres, s’il pensait à un nom qui avait d’autres sons que ceux qu’il savait représenter, il lui était naturel de les demander. Il avait un besoin intérieur d’augmenter ses connaissances et il se promenait s’épelant à lui-même les mots qu’il savait utiliser dans le langage. Peu importait la longueur et la difficulté du mot, l’enfant pouvait le représenter après une seule dictée de la maîtresse… La maîtresse disait un mot rapidement en passant et, en revenant, elle voyait qu’il l’avait écrit avec les lettres mobiles… Manifestement tout cela était dû à une période de sensibilité spécifique ; l’esprit, à cet âge, est comme une cire molle susceptible d’impressions qui ne pourront pas le marquer plus tard, quand cette malléabilité spécifique aura disparu… En prenant conscience de la formation du mot à partir de ses sons, l’enfant l’avait analysé et reproduit extérieurement au moyen de l’alphabet mobile »[42].

Maria Montessori connut alors, dans ses écoles, l’explosion de l’écriture sans avoir recours à des livres. Les journalistes commencèrent à parler de ce phénomène extraordinaire, mais « les psychologues étaient certains qu’il s’agissait là d’enfants spécialement doués. Pendant quelques temps, j’ai partagé cette opinion mais d’autres expériences, plus étendues, prouvèrent bientôt que tous les enfants possédaient ces pouvoirs et que les plus précieuses années étaient gâchées, et le développement grandement contrecarré par l’idée fausse que l’éducation n’était possible qu’après six ans »[43]. Dans cette ambiance, l’enfant n’écrit pas par obéissance à l’adulte, mais par « obéissance enthousiaste à ses impulsions ». Si au début, ces enfants écrivent avec l’alphabet mobile, ils se mettent rapidement à écrire au crayon, et ont tous une belle écriture car, par le toucher des lettres avec le doigt, les formes se sont fixées dans leur mémoire musculaire. A ce stade, les enfants ne savent pas encore lire. Ils savent analyser les sons des mots dans leur esprit et les reproduire, car chaque lettre est associée à un son dans leur cerveau. Pour Maria Montessori, cela correspond à la période sensible du langage qui s’exprime sous une autre forme. C’est une simple transcription en signes graphiques du langage que l’enfant possède déjà. Les enfants apprennent à lire seuls quelques mois après l’explosion de l’écriture. Maria Montessori ne propose toujours pas de livres, mais donne des mots à lire et à placer devant l’objet correspondant afin de donner du sens au mot lu, puis des petites phrases qui sont des actions à réaliser. Ainsi, l’enfant prend l’habitude d’associer le sens à la lecture. Elle introduit aussi très rapidement la grammaire qui est active, facile et intéressante.

Cette méthode, conçu pour l’italien, est plus facile que pour le français car l’italien a 21 sons simples. Toutes les lettres sont lues et entendues. En français, il y a de nombreux sons complexes composé de plusieurs lettres, des lettres muettes… ce qui complique un petit peu.

Pour Maria Montessori, les mathématiques se déclinent sous trois points de vue :1 – Arithmétique : la science du nombre2 – Algèbre : l’abstraction du nombre3 – Géométrie : l’abstraction de l’abstraction

Maria Montessori a conçu sa pédagogie en laissant ces trois points liés. Les enfants aiment l’étude des nombres et leur disposition géométrique. Mais, ce qu’elle n’a pas compris au départ, c’est le manque d’attrait des enfants pour les opérations. Elle finit par comprendre en abordant le système décimal avec les plus grands que cela venait du fait qu’elle n’avait abordé que les dix premiers nombres. Lorsqu’elle aborde le système décimal et les opérations à grands nombres avec les petits, ceux-ci sont tout de suite très enthousiastes, et elle introduit de suite l’algèbre et la géométrie. Maria Montessori découvre que l’enfant n’aime pas les limites. Les petits aiment faire, par exemple, des opérations avec des nombres énormes ; activités qu’ils se donnent eux-mêmes ! Elle a souvent pu remarquer que les enfants de 5/6 ans peuvent avoir une vivacité mentale supérieure à l’adulte.

« Aussi pouvons-nous seulement déduire que, de très bonne heure, il y a une prédisposition spéciale aux mathématiques. Nous observons que les actions qui soulèvent en l’enfant non seulement de l’intérêt, mais même de l’enthousiasme, sont celles qui réclament de sa part la plus grande exactitude : plus c’est compliqué, plus grand est son enthousiasme. Cette exactitude ne se remarque pas seulement dans le mouvement, dans la manipulation exacte que requiert un exercice, mais aussi dans l’étude d’une fleur ou d’un insecte. Il y a une prédisposition à l’exactitude et au détail, qui peut être dirigée vers les détails des quantités. L’arithmétique est une sorte d’abstraction, et par conséquent amène cette exactitude au niveau abstrait. L’enfant, partant du matériel, passe au nombre abstrait et de là, au stade encore plus abstrait de l’algèbre ; il travaille avec exactitude dans ces trois secteurs, matériel, abstrait et algébrique, fasciné de pouvoir jouer concrètement le ‘’jeu des unités’’. Pour arriver à cette conclusion, nous sommes aidés par le grand philosophe et physicien Pascal : plongé dans le nombre et la quantité, il affirmait que l’esprit humain a comme caractéristique d’être mathématique et que cette qualité mentale est la voie du progrès. Cette affirmation soulève généralement l’hilarité, car l’expérience pratique des maîtres ordinaires semble montrer que, de tous les sujets, les mathématiques sont ce qui répugne le plus à l’esprit humain. Et maintenant, ce sont les jeunes enfants qui prouvent que Pascal a raison !… Pour accomplir cela, il est nécessaire d’être exactement conscient de ces choses, et de se centrer sur un champ d’exactitude. Il y a trois cents ans que Pascal a découvert que cette qualité d’exactitude était une caractéristique fondamentale de l’esprit humain »[44].

Pour Maria Montessori, ce n’est que la suite logique de ce qui a précédé, car l’enfant, à cette période, a toujours cette faculté particulière qui lui est propre. A partir du moment où l’on permet que l’enfant puisse vivre « normalement », il peut réellement se révéler, ce qui ne peut pas se réaliser avec un autre mode d’éducation. Le mode d’éducation que Maria Montessori prône consiste à préparer une ambiance à l’enfant adaptée à ses besoins psychiques, en lui proposant du matériel à manipuler qui, par lui-même, transmet la culture. En effet, elle insiste énormément sur le fait que l’enfant a besoin de l’environnement pour « recueillir les moyens nécessaires à son développement ; et c’est seulement quand cette ambiance est favorable et que les obstacles sont réduits au minimum, que l’enfant fonctionne pleinement et qu’il révèle ses caractères cachés ». Le premier principe est de présenter individuellement à l’enfant un matériel qui se substitue à l’enseignement verbal. Un matériel est proposé pour l’acquisition des différentes notions dans chaque discipline en isolant chaque difficulté. Ce matériel représente concrètement la notion et met l’enfant directement en contact avec la réalité, ce qui l’invite à activer son raisonnement et son intuition en le conduisant vers la découverte. Cela engendre de l’enthousiasme et de la concentration, tout en préservant l’interruption et la critique. La liberté de choisir son travail permet également à l’enfant d’utiliser au mieux ces ressources particulières. De plus, cette conception du travail préserve l’enfant des émotions qui peuvent être engendrées par sa relation avec le maître ou ses camarades, que ce soit par intimidation, attention forcée, menace de punition, louanges, admiration ou attachement au maître, rivalités, esprit de compétition, répugnance, colère, voire haine.

Dès les débuts des premières Maisons des Enfants, les petits se sont mis à travailler non seulement avec attention, mais avec une concentration qui semblait les extraire du monde extérieur. Le travail accompli les rendait vigoureux et sereins, alors que le travail dans une école classique les laisse fatigués et agités. « L’ordre et la discipline étaient réalisés avec une exactitude qui atteignait la perfection »[45]. La maîtresse n’en avait pas le mérite, seul l’environnement ! Elle était plutôt passive et pouvait même quitter la classe sans que le travail s’interrompe. D’ailleurs, au début, Maria Montessori préférait travailler avec les femmes de ménages plutôt que des institutrices qui n’arrivaient pas, en général, à rester observatrices.

« Voilà donc que le travail est non seulement compatible avec le bien-être, mais qu’il est indispensable au développement de la personnalité ! Et quand, par la suite, la liberté et la discipline se développent ensemble, l’une inséparable de l’autre, résultat et contrôle l’une de l’autre, il n’est pas seulement possible, mais nécessaire et naturel d’allier discipline et liberté ».[46] « Je me souviens d’un membre du gouvernement qui, sans trop réfléchir à la spontanéité de ces comportements, m’avait dit : ‘’Vous avez résolu un grand problème : vous avez réussi à unir discipline et liberté. Et ce problème, bien plus que la direction des écoles, concerne le gouvernement des nations ! ‘’… N’aurait-il pas été plus juste de dire : ‘’Etudions donc ces phénomènes ! Travaillons ensemble pour pénétrer les secrets du psychisme humain !’’ Mais qu’à l’intérieur de l’âme de l’enfant nous puissions découvrir quelque chose de nouveau et d’utile pour tous, un éclairage intéressant sur des réalités obscures de la conduite humaine, cela personne n’était à même de l’admettre et de le comprendre ».[47]

Pourtant, déjà, des phénomènes semblables avaient eu lieu avec Pestalozzi à l’école de Stanz et Tolstoï avec des petits paysans d’Iasnaïa Poliana. Mais si ces phénomènes restent rares, c’est que« dans le champ psychique, les caractères tendent à se cacher et à se masquer devant chaque obstacle extérieur ; et dans ce jeu entre le conscient et le subconscient, que la psychanalyse explique si bien, un fait réel peut surgir et disparaître ». Maria Montessori pense avoir permis que l’âme humaine se libère dans ses Maisons des Enfants.

Maria Montessori a très souvent observé ce phénomène : les enfants arrivent le matin, commencent par un travail facile, souvent un travail domestique, puis ils choisissent un matériel pédagogique qu’ils connaissent bien et le refont plusieurs fois. Ensuite, ils paraissent dubitatifs et fatigués, s’excitent un peu. Si la maîtresse n’est pas expérimentée, elle en conclura que les enfants sont lassés et fatigués, et leur proposera de faire un tour au jardin où ils se mettront à courir dans tous les sens. En rentrant, ils seront encore plus agités qu’avant et seront incapables de fixer leur attention sur un travail. Ces maîtresses tirent une mauvaise conclusion et apporte une mauvaise solution en intervenant. « Si, au contraire, la maîtresse respecte la liberté de l’enfant et a confiance en lui, si elle a la force de volonté d’oublier un instant tout ce qu’elle a appris qui encombre son cerveau, si elle est suffisamment modeste pour ne pas considérer son intervention comme nécessaire, et si, pour finir, elle sait attendre patiemment, elle observera bientôt un changement radical chez l’enfant. Il est excité tant qu’il cherche quelque chose au plus profond de sa conscience et qu’il ne s’est pas encore trouvé ». L’adulte doit attendre avec confiance. Ainsi, l’âme de l’enfant s’ouvre, et il augmente son désir d’entrer en contact avec son environnement. Là, il devient capable d’aller vers sa maîtresse pour rechercher son aide. Alors qu’un adulte ne peut arriver à faire apprendre quelque chose à un enfant moralement affaibli et mal nourri, ou alors, ce sera imparfait. Pour permettre que ce moment de concentration arrive, il est impératif que l’enfant puisse choisir son acti­vité et travailler seul, sans que l’in­tervention de l’adulte le gêne et le déconcentre.

Un jour, après avoir travaillé avec le matériel facile, il va en commencer un plus difficile jusqu’à y consacrer toute son attention, en faisant une abstraction complète de ce qui l’entoure. Pour elle, c’est la voie de la vie qui va pousser l’enfant vers ce matériel, qui ne sera donc pas le même que pour un autre enfant. Lorsqu’il s’arrête enfin, il est calme et reposé ! Il devient ordonné. Il est « rayonnant et donne l’impression d’un profond repos : l’enfant semble mû par une force nouvelle, comme si un torrent d’é­nergie venait de le ranimer. » « Après ce travail concentré, les enfants, ont toujours l’air reposé et semblent intimement réconfortés. On dirait presque que dans leur esprit s’est ouvert un chemin pour les énergies latentes, révélant le meilleur côté de leur caractère. Dès lors, ils sont aimables avec tout le monde, ils s’évertuent à ai­der les autres et sont très désireux d’être sages ». « C’est pourquoi il faut d’abord être fort et avoir atteint l’équilibre de l’esprit pour pouvoir obéir… un esprit fort sera obéis­sant et saura s’adapter à tout. Il s’agit donc de donner à l’enfant la possibilité de se développer tran­quillement selon les lois de sa na­ture. De cette manière il va se for­tifier, et une fois fort, il fera bien plus que nous n’osions espérer » « Nous nous sommes occupés de lui procurer ce qu’il lui fallait. Dé­sormais, il nous faut apprendre à nous maîtriser, nous tenir à l’écart, le suivre presque, à distance, sans le fatiguer avec notre intervention, mais sans pour autant jamais l’a­bandonner. Nous le verrons pres­que toujours serein, se suffire à lui-même tant qu’il sera occupé par un travail qui lui semble sérieux. Qu’est-ce qu’il nous reste à faire de notre côté, si ce n’est de l’ob­server ? »

Plus la capacité de concentration augmente, plus l’enfant est serein dans son travail, plus il est discipliné, plus il devient maître de lui-même et est sur la voie du développement psychique naturel. Il fait preuve d’une grande patience et devient capable d’observer tout ce qui est autour de lui, dans les moindres détails, et fait de nombreuses découvertes. Il est dénué de jalousie et d’esprit de compétition et, au contraire, est porté à l’aide mutuelle. Il n’a nul besoin de récompense ou de punition.

Maria Montessori affirme que l’enfant atteint une autodiscipline spontanée : la première étape est de permettre à l’enfant un fonctionnement qui suit l’ordre voulu par la nature grâce à l’environnement, alors, il se normalise et devient capable de grandes choses. Un enfant que l’on empêche de suivre l’ordre naturel se met à dévier. Lorsque l’enfant dévie, c’est là qu’il peut devenir ce que l’adulte nomme « capricieux ». Il ne peut faire ce dont il a besoin à causes d’obstacles qui se dressent devant lui et a besoin de guérir pour retrouver l’ordre naturel. Pour elle, c’est ce que recherche les psychanalystes, aider la personne à se normaliser, afin qu’elle puisse agir conformément à sa nature. Elle est persuadée qu’il ne sert à rien de vouloir corriger un enfant, et chercher à supprimer ses défauts. Ce dont il a besoin est de trouver dans son environnement des centres d’intérêt nouveaux qui agrandissent son horizon. « La jalousie et la compétition sont le signe d’un développement mental insuffisant »[48]. L’enfant est sous-alimenté mentalement. Il faut « l’inviter à conquérir l’illimité au lieu de réprimer son désir d’obtenir ce que ses voisins possèdent »[49].

Maria Montessori, qui, je le rappelle, s’est occupé d’enfants dits débiles et a réussi à faire passer le certificat d’étude à certains, reste optimiste : « Un problème particulier à l’éducation est de savoir comment aider ces enfants dégénérés à guérir leurs régressions qui retardent leur développement normal ou sont la cause de déviations. Puisqu’un tel enfant n’aime pas son environnement et trouve que les obstacles à sa conquête sont trop difficiles à surmonter, la première chose à faire est de diminuer les obstacles, et puis, de rendre l’ambiance attrayante. Puis il faut donner à l’enfant une activité agréable, quelque chose d’intéressant à faire, en l’invitant à pousser plus loin ses expériences. Graduellement le désir de paresser peut faire place chez l’enfant à un intérêt qui éveille un désir de travailler, d’apathique il peut devenir actif, passer de cet état de frayeur – qui souvent se traduit en attachement si fort qu’il résiste à toute séparation – à une liberté joyeuse et ainsi partir à la conquête de la vie »[50].

Maria Montessori souligne encore cette constatation assez incroyable « Sur l’importante question de la fatigue, des faits frappants se sont révélés chez l’enfant de moins de 6 ans. Dans les écoles ordinaires, l’enfant se fatigue vite et l’instruction devient difficile ; c’est pourquoi il a semblé cruel de la commencer à cet âge ; les parents pleins d’amour ne veulent pas que leurs petits fassent autre chose que jouer et dormir. Mais il ne manque pas de signes qui montrent que les enfants eux-mêmes s’ennuient profondément de ce programme, et réagissent vigoureusement par toutes sortes de bêtises. L’expérience avec nos enfants de trois à six ans, et même plus jeunes, a montré que non seulement ce n’est pas une fatigue d’apprendre à cet âge, mais que les enfants deviennent effectivement plus forts. Un travail n’est pas forcément cause de fatigue. Par exemple, nous faisons beaucoup de travail avec nos mâchoires, nos dents, notre langue quand nous mangeons et le résultat de ce travail est un renouvellement d’énergie. C’est aussi un besoin naturel que d’exercer nos muscles pour les fortifier. C’est la même chose avec les enfants pour leur développement mental. Non seulement ils semblent infatigables mais, par l’activité intellectuelle, ils acquièrent force et santé. La nature prédispose le jeune enfant à recevoir la culture, mais la société l’abandonne sur le plan mental au moment de cette période sensible par son régime de jeux et de sommeil. Il ne peut s’empêcher d’absorber ou d’être actif, mais s’il n’y a rien à absorber, il faut qu’il se contente de jouets »[51].

« Quand on leur donne le matériel Montessori, les enfants le prennent avec une telle impétuosité qu’on l’a considéré jusqu’ici comme fantastique. Ces esprits sous-alimentés, qui on été jetés dans un milieu qu’ils ne peuvent, livrés à eux-mêmes, ni comprendre ni maîtriser, si on leur donne le moyen d’acquérir cette maîtrise, ils se précipitent dessus comme des lions affamés, et dévorent tout ce qui peut les aider à survivre et à s’adapter à la civilisation contemporaine »[52]. Ce qui stimule l’enfant, c’est la satisfaction du travail accompli. Maria Montessori observe que la confiance en soi et la maîtrise de soi sont les signes extérieurs d’un bon équilibre intérieur. 

[41]Education pour un monde nouveau– 1943

[42]Education pour un monde nouveau– 1943

[43]Education pour un monde nouveau– 1943

[44]Education pour un monde nouveau– 1943

[45]La Formation de l’Homme – 1949

[46]La Formation de l’Homme – 1949

[47]La Formation de l’Homme – 1949

[48] La Formation de l’Homme – 1949

[49] La Formation de l’Homme – 1949

[50]Education pour un monde nouveau– 1943

[51]Education pour un monde nouveau– 1943

[52]Education pour un monde nouveau– 1943

6 – 12 ans : découverte de la vie sociale

Vers 6 ans, l’enfant a acquis une certaine indépendance, puisqu’il est capable de réaliser des activités sans solliciter l’adulte et qu’il parvient à coordonner ses mouvements. Pour Maria Montessori, cette période de 6 ans à 12 ans est une période où il sort de sa première enfance, symbolisée par ce changement physique qu’est la perte des dents de lait, et se tourne d’une autre manière vers le monde. Jusque-là, il avait besoin de découvrir le monde avec ses sens, d’établir des rapports entre les objets, ce qui pouvait se réaliser en vase clos. Maintenant, il s’intéresse toujours aux mêmes objets, mais d’une manière différente. A travers ces objets, il s’intéresse aux actes de l’homme, au pourquoi et au comment l’homme se comporte avec ces objets, il commence à juger. Il entre dans le monde de l’abstrait et découvre la cause et les effets. Il demande : Aide-moi à raisonner par moi-même. Il commence à se préparer à devenir adulte et a besoin de culture, de découvrir le monde et son histoire pour l’aider à développer son raisonnement et sa conscience morale. Pour Maria Montessori, il n’est pas question de suivre certains principes, mais bien de se laisser guider par les besoins inhérents aux différents âges. Cette fois, je m’appuie principalement sur De l’Enfant à l’adolescent (vers 1950).

Pour cela, il a besoin d’élargir son champ d’action, d’avoir des limites plus vastes afin de réaliser ses expériences sociales et il a également besoin de passer au plan abstrait. « C’est donc avec une société plus vaste que l’enfant a besoin d’établir ses rapports sociaux. L’école en vase clos, ainsi qu’elle est conçue aujourd’hui [1950], ne peut plus être suffisante pour lui. Quelque chose manque au plein développement de sa personnalité ; nous remarquons chez lui une certaine régression, des manifestations de son caractère que nous taxons d’anomalies : ce sont tout simplement des réactions à une ambiance devenue insuffisante ; mais cela, nous ne le remarquons pas ; et comme il est entendu que l’enfant doit faire ce que lui dicte l’adulte, même si l’ambiance n’est plus adaptée à ses besoins, s’il manifeste des écarts de caractère, nous disons qu’il est ‘’méchant’’, et nous le corrigeons ; mais, le plus souvent, nous ignorons la cause de cette ‘’méchanceté’’. Or, l’enfant prouve par sa conduite ce que nous venons d’avancer. C’est bien pour ce soustraire au vase clos qu’il ne va plus volontiers à l’école ; il préfère aller pêcher la grenouille ou jouer dans la rue. Ces incidents, qui paraissent superficiels, prouvent ce besoin qu’a l’enfant d’élargir les limites du champ d’action dans lequel il évoluait jusqu’alors… Quand il est placé dans certaines conditions qui la favorisent [la vie sociale], l’enfant manifeste une activité extraordinaire. Son intelligence nous surprend, parce que toutes ses fonctions travaillent de pair, comme il est normal chez l’homme »[53]. Pour Maria Montessori, là encore, si l’enfant est entravé dans ses besoins, il ne peut se développer correctement. A l’enfant qui s’intéresse et pose beaucoup de questions, la tentation est grande pour l’adulte soit de faire taire l’enfant, soit de lui répondre par de trop longues explications. Cela peut être une nouvelle lutte pour l’enfant, tout comme lorsqu’on l’empêchait d’aller là où il voulait aller lorsqu’il commençait à marcher.

La culture permet une bonne motivation à cette période pour la transmission de la connaissance. Entre 6 et 12 ans les facultés de l’enfant sont ouvertes à toutes les sciences. C’est à cet âge que les principes généraux de tous les domaines de connaissances devraient êtres abordés. L’enfant est alors à la conquête du monde. Il brûle de comprendre comment fonctionne celui-ci et jusqu’où il affecte la vie et le comportement des hommes. Si l’on néglige cette période, l’esprit de l’enfant devient artificiellement sourd et refuse toute connaissance par la suite.

Cette période sensible explique la richesse culturelle du cours élémentaire Montessori. L’utilisation du matériel Montessori est spécialement conçu pour les enfants de l’école élémentaire et permet de nombreuses découvertes. Au contraire, ce mode d’apprentissage pourrait repousser les adolescents par sa complexité et semblerait anormal aux adultes.

Maria Montessori pense qu’il faut permettre à l’enfant de tout observer dans l’univers et sur la terre. Il faut l’ouvrir à toutes les disciplines en apportant le tout (frise d’histoire par exemple) et en présentant le détail comme moyen. Pour découvrir la culture, l’enfant a besoin d’avoir une vue d’ensemble, la vision du tout, et a également besoin de passer par le détail. Il est souhaitable de présenter rapidement à l’enfant les principales classifications : animal, végétale et minérale. Pour elle, la classification aide à comprendre et surtout à retenir. « Ce qu’il apprend doit être intéressant, doit être fascinant ». Mais il convient, surtout, de lui faire découvrir le monde de manière réelle par des sorties dans la nature. Par exemple, à travers l’observation d’insectes dans leur milieu naturel vers chez soi, on peut se faire une idée de la vie d’insectes que nous ne verrons jamais : « étudier le détail pour imaginer l’ensemble ». A partir de ces expériences réelles, peuvent surgir des intérêts intellectuels (les climats, les vents…). Pour elle, aucun livre ne peut remplacer la vie réelle qui nous entoure. L’enfant ne se contente plus d’accueillir les faits, il s’intéresse aux causes. Il faut faire comprendre à l’enfant que « tout est étroitement lié sur cette planète, et l’on constate que chaque science n’étudie que les détails d’une connaissance totale. Parler ensuite de la vie de l’homme à la surface du globe, ce sera faire de l’histoire. Et chaque détail prend de l’intérêt, du fait qu’il est étroitement lié aux autres… à cette époque où il existe une espèce de période sensible de l’imagination et, une fois apportée l’idée d’ensemble, il faut montrer que, de chaque branche, part une science : minéralogie, biologie, physique, chimie, etc. ». L’enfant a besoin de comprendre comment le monde fonctionne. C’est pourquoi le matériel de cette tranche d’âge est si riche. « Dans nos écoles, où cette expérience éducative s’est engagée, se manifeste une tendance naturelle à l’extension spontanée de la culture, à l’accroissement des connaissances. Cela apparaît comme un processus naturel. Dès lors, les problèmes de l’enseignement se renversent : le problème pratique du maître n’est plus celui de fournir des connaissances dans un cadre limité, préalablement défini, mais plutôt de ‘’contrôler’’ et ‘’diriger’’ la fougue des enfants »[54]. Le maître fait parti de l’environnement et est un trait d’union. Il est là pour stimuler l’intérêt. Elle soutient également que les enfants laissés libres utilisent des techniques que nous n’aurions pu deviner. Elle a aussi observé qu’après une période de repos ou de vacances, les enfants, non seulement n’ont rien oublié de ce qu’ils ont appris, mais ils se sont enrichis en puisant dans ce qui les a entouré. L’enfant est aussi capable de manifestations improvisées et inattendues comme de s’inventer des exercices très complexes qu’un adulte n’oserait jamais donner car jugé inutile. Les enfants sont mues par un élan vital. Ce dynamisme fait progresser bien plus un enfant qu’un effort volontaire ou imposé. Ils deviennent plus conscients d’eux-mêmes, plus équilibrés avec une plus grande estime d’eux-mêmes et plus de facilité à s’adapter aux autres.

Imagination/imaginaire :Maria Montessori fait bien la différence entre imaginaire et imagination.L’imaginaire représente tout ce qui n’est pas réel. Pour elle, c’est une fuite de la réalité pour palier à une sous-alimentation intellectuelle et manuelle.

L’imagination c’est la faculté d’extrapoler ce que l’on ne connaît pas à partir du réel que l’on connaît, à imaginer au-delà de ses connaissances, comme l’infiniment petit, ou l’infiniment grand et permet la créativité. Pour Maria Montessori, l’imagination est à développer. L’imagination constitue la faculté la plus exacerbée des enfants de 6 à 12 ans. Avant 6 ans, l’enfant a connu un important développement sensoriel en découvrant son environnement avec ses sens. Il a découvert tout ce que ses cinq sens lui ont permis d’observer. A partir de 6 ans, l’enfant a besoin d’explorer tout ce qui échappe à ses sens, et pour cela, il fait appel à son imagination qui est portée à son paroxysme à ce moment là. L’imagination permet à l’enfant de voir dans sa tête tout ce qu’il ne peut voir réellement. L’imagination n’a pas de limite de temps et de lieu. Elle permet de revoir mentalement un objet déjà observé mais aussi de former de nouvelles associations. Cette aptitude permet de voir ce qui appartient au passé, au présent, au futur, mais que l’enfant ne peut pas voir avec ses yeux. Elle permet aussi de voyager dans l’univers, au cœur de la terre ou au pôle nord sans y mettre les pieds. C’est sur cette faculté que se basent toutes les autres facultés de l’enfant.

Pour Maria Montessori, l’adulte devrait « compter ses mots »« ici, il doit être sûr de ce qu’il doit faire, de ce qu’il doit dire, et de la mesure dans laquelle il doit répondre aux questions. Il doit avoir clairement conscience que son devoir est de dire peu, de ne dire que la vérité, et non pas toute la vérité. Ici encore, il doit dire le ‘’nécessaire et le suffisant’’. Ce qui est indispensable à l’enfant, c’est de sentir la sécurité de l’adulte »[55].

Il y a le Ciel et la Terre. « Quand il sont présentés comme faisant parti d’un tout, les moindres détails deviennent intéressants ; et l’intérêt grandit au fur et à mesure que l’on en sait davantage. D’ailleurs, les connaissances que l’on apporte maintenant ne doivent plus être sur la même échelle. Elles ne doivent plus être purement sensibles : il faut maintenant que l’enfant ait constamment recours à son imagination. Comme nous ne pouvons apporter le tout, c’est à l’enfant à l’imaginer. L’instruction des enfants de 7 à 12 ans doit faire appel à leur imagination. C’est de cette imagination que doit surgir la représentation de la réalité ; il faut donc être rigoureusement précis et exact : l’exactitude, comme le nombre, et comme tout ce qui est mathématique, servira à construire cette représentation de la réalité». Pour elle, il faut frapper l’imagination par des ordres de grandeur et par le mystère. « L’imagination ne devient grande que lorsque l’homme, grâce au courage et à l’effort, s’en sert en vue de quelque création ; autrement, elle ne s’adresse qu’à un esprit vagabondant dans le vide ». Elle nous dit encore que « L’imagination est la base même de l’esprit ; elle élève les choses sur un plan supérieur, sur le plan de l’abstraction. Mais l’imagination a besoin d’un support ; elle a besoin d’être construite, organisée. L’homme, alors seulement, peut atteindre un niveau élevé, car il pénètre l’infini ». Pour frapper son imagination en lui donnant des repères concrets, elle donne des exemples dans son livre De l’Enfant à l’adolescent : elle parle de l’eau et explique aux enfants que l’on peut se représenter la quantité de calcaire dans le monde par deux fois la surface de l’Europe sur 3048m de haut. C’est aussi expliquer que si un atome était gros comme un ballon de foot, les électrons circuleraient au niveau de la surface du ballon, et le noyau composé de protons et de neutrons seraient gros comme une tête d’épingle au milieu, les électrons et le noyau étant séparés par du vide.

L’imagination dont il s’agit ici n’a rien à voir avec la fabulation ou une fuite de la réalité ; elle s’appuie toujours sur l’alphabet de la réalité pour explorer l’inaccessible et faire preuve de créativité. Einstein disait que l’imagination est l’outil le plus important dans la découverte scientifique. Pourtant la science exige beaucoup de travail et d’expériences avant une découverte. C’est à cause de cette période sensible que les enfants de 6-12 ans sont souvent comparés à de petits scientifiques. Au cours de cette période, les enfants disposent d’une curiosité et d’une endurance à toute épreuve.

Maria Montessori insiste dans plusieurs de ses livres sur le fait que l’enfant est vraiment capable de différencier le réel de l’imaginaire vers 6/7 ans. C’est pourquoi elle insiste également sur le fait que l’adulte ne devrait dire que la vérité à l’enfant pour qu’il puisse être capable d’effectuer ce discernement. Autrement dit, l’adulte ne devrait pas parler ou présenter des choses irréelles à l’enfant de moins de 7 ans, car c’est prendre le risque d’avoir un enfant qui pourrait avoir du mal à faire la différence entre le réel et l’imaginaire après 7 ans, ou prendre le risque que l’enfant se perde « dans la fantaisie, dans le monde du fantastique ». Les enfants qui ont baigné dans l’irréel avant 6 ans peuvent avoir du mal à différencier le réel de l’irréel, cela peut même créer d’énormes confusions et l’empêcher de se construire, de devenir conscient et responsable. Les choix éducatifs doivent permettre à l’enfant de s’enraciner dans la vie réelle. Pour Maria Montessori, il convient donc de proscrire avant 6 ans tout ce qui peut mettre en avant l’irréel, que ce soit le téléphone à roulette, le livre de bain, les histoires mettant en scène des animaux parlant ou agissant comme des hommes, les histoires de fées, de sorcières…

Les jouets

Maria Montessori pense qu’il est primordial de donner à l’enfant de beaux objets, en matières nobles, des objets miniatures correspondants à ceux qui existent « réellement » pour les adultes : petites voitures, dînette, poupée… en bois, en fer, en porcelaine. L’enfant a besoin d’imiter l’adulte à son échelle pour se construire, il n’a pas besoin de se distraire. L’adulte ne doit pas jouer avec l’enfant, dans le sens où il ne doit pas participer au jeu d’imitation. Par exemple, il ne doit pas faire semblant de manger la soupe de son enfant. C’est l’enfant qui joue, et non l’adulte. Elle affirme : « L’adulte étouffe souvent l’instinct d’agir qui caractérise l’enfant, il l’empêche de vivre, de faire quelque chose d’utile, d’accomplir de grands efforts ; il fait obstacle à la tendance à développer son esprit selon les lois naturelles. Par conséquent, l’activité de l’enfant prend des chemins erronés, se tourne vers mille et une choses inutiles, des jouets et des frivolités, qui ne servent à rien. Un découragement inconscient – qui agit en le paralysant fatalement – réduit l’être, destiné à vaincre tous les obstacles du monde, à déchoir dans l’inertie résignée et dans la paresse » (1923).

La morale : au cours de cette période de 6 à 12 ans, l’enfant construit sa pensée autonome et intellectuelle. Il a besoin de vivre en société et de comprendre les gens et leurs actes, les raisons de ses actes, les limites et les lois qui régissent notre vie. Il s’ouvre aux valeurs morales et semble même obsédé par la morale à cette période. Il se préoccupe de définir ce que sont le bien et le mal, devient sensible à la justice, s’intéresse aux relations entre les individus. Dès que l’enfant comprend la relation entre ses actes et les besoins des autres, il forme le concept de justice et cherche à en établir les règles.

C’est vers 6, 7 ans que commence à se développer sa conscience. L’adulte doit maintenant être attentif au plan moral. L’enfant découvre un nouveau monde, le monde de l’abstrait et s’intéresse au comment et au pourquoi.

Maria Montessori est convaincu que les besoins de l’enfant doivent être respectés pour sa construction intérieure. « Considérer l’école comme l’endroit où l’on débite l’instruction, c’est un point de vue ; mais considérer l’école comme une préparation à la vie, c’en est une autre. Et dans ce dernier cas, l’école doit satisfaire à tous les besoins de la vie ». A ce titre, Maria Montessori convient que le scoutisme apporte, en dehors de l’école, une vie organisée, invitant l’enfant à se dépasser et favorisant l’engagement. C’est, pour elle, un très bon complément à l’école pour l’apprentissage de la vie sociale. Elle pense que ce mouvement permet vraiment à l’enfant de s’ouvrir aux principes moraux car ce que l’on doit et ce que l’on ne doit pas faire y est clairement établi. C’est ce qu’elle nomme la naissance de la dignité. Pour elle, l’enfant apprécie de s’engager à accepter des règles de vie, de porter la responsabilité de ses propres actions et cela donne sens à cet environnement qui comporte des limites morales. Encore une fois, l’enfant prouve qu’il est capable de bien plus que ce qu’on pourrait en attendre. Ce mouvement offre également des activités physiques, développe le sens de l’effort et une vie un peu plus rude. Les possibilités d’actions de l’enfant deviennent subordonnées à sa conscience.

Maria Montessori insiste sur la nécessité de veiller à intéresser l’enfant à « une activité extérieure à laquelle il consacrera toutes ses possibilités. Il s’agit de lui apporter la liberté et l’indépendance en l’intéressant à une réalité que son activité lui fera découvrir par la suite. Et c’est pour lui le moyen de s’affranchir de l’adulte ».

A cet âge, l’enfant aime aider son prochain, ne pas trahir ses copains, rester fidèle à ses promesses, respecter le code moral. Il admire la loyauté et la responsabilité. Il s’indigne de la moindre injustice. C’est aussi à cette époque que l’enfant connaît une période de sociabilité accrue. Alors que le petit enfant avait du mal à partager, l’enfant de 6-12 ans est généreux avec les autres. Les observateurs peuvent facilement remarquer comme il lui est facile de former des groupes de copains, d’inventer des règles du jeu et de s’y tenir.

A partir de 7 ans, l’enfant est capable de comprendre qu’il faut, par exemple, choisir sa manière de s’habiller et de se chausser en fonction du but de la sortie. L’enfant s’intéresse aussi à l’entretien des vêtements, etc. et prend goût à être en ordre sur lui-même et ne pas laisser le désordre là où il est passé. C’est le début du raisonnement de cause à effets et le début des expériences sociales. Tout cela permet d’éveiller la conscience. « Un enfant, enfermé dans ses limites, même vastes, reste incapable de se valoriser, n’arrivera pas à s’adapter au monde extérieur. Pour qu’il progresse rapidement, il faut que la vie pratique et la vie sociale soient intimement mêlées à sa culture… la culture et l’expérience sociale doivent s’acquérir à la fois »[56].

Maria Montessori a la certitude, après avoir observé les enfants, que ceux-ci lui ont donné la solution. En effet, sans effort particulier, avec simplement un environnement adapté, un matériel spécialement conçu pour les aider à découvrir seul leur environnement, les enfants ont démontré qu’ils aimaient travailler, « que le travail est une nécessité de la croissance aussi indispensable que l’aliment pour le corps, et que la liberté et la discipline ne sont rien d’autre que deux aspects de la même chose. Vérités stupéfiantes que, seul, l’enfant pouvait révéler ». Ainsi, les enfants des écoles Montessori aiment travailler, et se passionnent, à cet âge, pour les recherches minutieuses, les raisonnements autour d’une difficulté particulière, l’algèbre, les puissances algébriques… Les enfants découvrent seuls des théorèmes de géométrie… « Quand on assiste à ces faits répétés, on se rend compte qu’une des souffrances mentales des enfants dans les écoles ordinaires doit être l’ennui de devoir étudier des choses trop faciles et qui ne prêtent à aucune gymnastique de l’intelligence ». L’ennui ne lui permet pas de fixer son attention et l’étude forcée ne l’aide pas à aimer le travail. La psychanalyse de l’époque savait déjà que les mathématiques provoquaient des barrières mentales qui pouvaient perdurer toute la vie. Et en effet, ce sont bien les mathématiques que les enfants des écoles Montessori préfèrent comme matière, car elles sont parfaitement propices à la gymnastique de l’esprit.

 

[53] De l’enfant à l’adolescent – 1958

[54] La Formation de l’Homme – 1949

[55] De l’enfant à l’adolescent – 1958

[56] De l’enfant à l’adolescent – 1958

12 - 18 ans… Trouver sa place dans la société !

Pour Maria Montessori, l’éducation doit être semblable les premières années de la vie envers tous les enfants, et différer par la suite en fonction de la personnalité de chacun, de l’individualité intérieure qui se développe spontanément et dont nous pouvons seulement aider à développer ce potentiel et enlever les obstacles. La période de 12 à 18 ans qui comprend la puberté est, pour Maria Montessori, une période très délicate. L’adolescent est beaucoup plus sensible, et ce que la société lui propose ne lui permet pas de se préparer à la vie sociale et d’éveiller sa conscience morale. Si l’enfant avait besoin d’aide pour construire sa personnalité, l’adolescent a besoin d’aide pour « s’orienter dans la société pour se préparer à en acquérir la conscience », afin de devenir un homme avec « une claire conscience sociale et une force morale pour combattre les erreurs qui obscurcissent notre destin ». Car, « le but glorieux de l’éducation est celui d’améliorer les hommes ». L’adolescent peut y contribuer, si nous lui permettons d’utiliser ses trésors cachés.

Dans De l’Enfant à l’adolescent, publié en 1958, Maria Montessori dénonce un problème social et humain : pour elle, les écoles de son époque « ne sont adaptées ni aux besoins de l’adolescent, ni à l’époque à laquelle nous vivons ». L’adolescent ne passe pas seulement physiquement de l’enfance à l’état adulte, mais aussi psychologiquement : il passe de « la mentalité de l’enfant – qui vit en famille – [à] celle de l’homme, qui doit vivre en société ». Pour elle, ce qui importe, c’est d’amener le jeune adulte a plus de compréhension entre les hommes, et donc à plus d’amour. L’adolescent a besoin d’être protégé tout en lui favorisant l’éclosion de sa personnalité et en lui permettant de comprendre son futur rôle d’homme. Déjà, à son époque, les études et les diplômes ne garantissaient pas la sécurité et demeuraient le seul but de l’école. L’enfant apprend à travailler par contrainte, son avenir soumis à des notes, et non par intérêt en vue de plus grandes choses. « Le meilleur de leur énergie individuelle est gâché ». Même le rythme des écoles secondaires ne conviennent pas aux adolescents qui traversent une période de diminution des capacités intellectuelles et qui se heurtent aux changements de professeurs à chaque nouvelle heure. L’esprit ne peut « s’adapter en une heure à une pensée nouvelle ». L’adolescent a besoin de créer afin de fortifier sa confiance en soi. Il devient plus sensible, ce qui peut, dans le cadre imposé de l’école, engendrer des rébellions et des caractères anormaux. Nous devons lui apporter des soins moraux : « On ne doit jamais traiter les adolescents comme des enfants : ils ont dépassé ce stade, et mieux vaut les traiter comme si leur valeur était supérieure à celle qu’ils ont réellement, que de minimiser leurs mérites et de risquer de blesser le sentiment qu’ils ont de leur dignité ». Au contraire, dans un cadre bienveillant, c’est à cette période qu’il peut développer des « sentiments de justice et de dignité personnelle ; c’est-à-dire les caractères les plus nobles qui devraient préparer l’homme à devenir un être social ». L’adolescence devrait être une véritable renaissance. Il faut donc privilégier le développement de la personnalité pour une meilleure possibilité d’adaptation. Des hommes cultivés, c’est utile, mais cela ne suffira pas pour améliorer l’humanité. La culture doit être un moyen et non un but, car « de tout temps on a eu l’intuition qu’il existait une chose plus importante que la culture : l’éducation morale ».

Il n’est pas question de supprimer la culture, mais de permettre aussi bien une meilleure culture qu’un apprentissage du travail manuel, pour une meilleur compréhension de la valeur du travail sous toutes ses formes qui sont nécessaires et se complètent. Pour être complet, l’homme doit savoir se servir de sa tête et de ses mains. L’adolescent a besoin de travailler et de gagner sa vie, même si ce n’est pas vital, afin de mettre en lumière ses qualités et ses talents. Le grand enfant a besoin d’un milieu ouvert, un contact vrai et les moyens de l’expérience. Il ne doit pas rester passif sur un banc d’école, mais doit devenir actif, le travail étant éducatif et non utilitaire. Il a aussi besoin de solitude et de calme.

Maria Montessori est favorable à une réforme des écoles et qui soit, de préférence, située loin de grandes villes, et, même, plutôt des maisons familiales. Nous avons vu dans les CSN précédents que lorsque l’enfant peut apprendre dans un environnement adapté, il apprend mieux et plus rapidement. Pour Maria Montessori, il gagne ainsi au moins 2 années qui devraient être mises à profit, au début de cette période délicate qu’est l’adolescence, pour vivre de manière primitive au contact de la nature en apprenant à cultiver, en récoltant, en tenant une hôtellerie, une boutique, en gérant leur administration et en apprenant différents artisanats, afin de « revivre les premières expériences de l’humanité, comprendre les premiers efforts des hommes pour construire la vie sociale ». Le travail de la terre s’étant extrêmement modernisé, il permet à la fois l’introduction à la nature et à la civilisation. Par la récolte qui s’en suit, le jeune adulte s’initie au mécanisme social fondamental de la production et des échanges sur lequel repose la base économique de la société et les rapports vitaux entre les hommes. « Travailler, non pour apprendre à travailler, mais pour faire les premiers pas dans la construction d’une conscience sociale et dans la voie de l’indépendance ». Cela engendre l’interdépendance, la discipline et « donne naissance au sentiment de la responsabilité collective ». L’adolescent a besoin pour son éducation morale, non seulement d’enseignement, mais surtout d’expériences, de conquêtes. « Le travail de l’enfant, en rapport avec les besoins de sa croissance, est un exercice qui construit sa personnalité ; le travail de l’adolescent, en rapport avec les besoins sociaux, est un exercice pratique qui construit la société ». Ces écoles auraient des règles de manière suffisante et nécessaires pour aider les jeunes à pouvoir s’adapter dans n’importe quel milieu.

Mais surtout, au-delà du travail, l’enfant doit prendre conscience de sa responsabilité et obtenir une production véritablement utile. Le plus important, à cette période, est de permettre à l’adolescent de s’associer à d’autres afin de collaborer pour atteindre un but utile défini ensemble. Afin de pouvoir en arriver là, il est extrêmement important de veiller à ce que l’enfant arrive à cet âge avec une dignité personnelle et en ayant confiance en lui. Sans cette dignité personnelle et cette confiance en lui, son intelligence peut s’obscurcir et il peut dévier vers « la délinquance, jusqu’à la répugnance envers ses semblables, jusqu’à l’impossibilité de continuer ses études ».

Pour Maria Montessori, les principaux éléments créateurs de l’être psychique sont l’expression personnel (musique, élocution, art), l’éducation morale qui se trouve à la base d’un bon équilibre, les mathématiques qui permettent de comprendre et participer au progrès de notre époque, les langues qui établissent la compréhension entre les hommes, l’étude de la terre et de la nature vivante, les sciences physiques et la chimie pour comprendre la construction de la civilisation, et l’histoire de l’humanité (surtout, à l’adolescence, les explorations, les inventions et le développement humain). L’enfant doit être habitué à utiliser des machines, sans tomber sous sa dépendance. L’homme doit dominer la machine et le matérialisme doit élever l’homme et créer une moralité toujours plus haute. La meilleure méthode à ce stade est celle qui éveille un maximum d’intérêt, qui favorise le travail seul, les expériences et l’alternance entre études et vie pratique.

Alors que pour de nombreuses civilisations passées et d’autres actuelles une « initiation solennelle de l’enfant pubère constitue la reconnaissance publique de l’entrée de l’homme dans la société », Maria Montessori s’étonne que l’on permette aux étudiants, qui sont des adultes, d’être encore soumis comme des enfants, qu’ils soient obligés de rester passifs pendant des heures de cours et qu’ils soient sous la dépendance d’autres adultes « sans aucune des responsabilités qui les élèvent à la catégorie d’hommes sociaux ». Pour elle « La maturité physique s’est accomplie, mais toutes ces années d’études, ces années passées à écouter, ne forment pas la volonté et le jugement de l’homme. C’est à la pratique et à l’expérience de le faire, si c’est encore possible.

Maria Montessori considère les examens sur les connaissances comme un attentat à la vie psychique, même les examens mentaux qui commençaient à être mis en place au Etats-Unis à son époque afin de se préoccuper de la personnalité avant la culture. Ces examens, devant juger le degré de maturité psychique en soi, est, pour elle, tout autant illusoire : « La valeur de l’homme ne peut se mesurer comme le rendement d’une machine. Le psychisme humain est plein de mystère ; il est couvert de masques, tant que l’homme ne se connaît pas lui-même. Aussi, les tests ne jugeraient-ils pas la valeur de l’homme, mais les conséquences de la répression, c’est-à-dire les barrières mentales, les fugues psychiques, les états liés aux complexes d’infériorité comme la timidité, le découragement, le manque de confiance en soi et la confusion mentale qui en découle. Et c’est pour cela que ce n’est pas juger véritablement l’homme, mais l’état auquel l’a réduit une vie déviée ».

Dans les écoles de Maria Montessori, si l’examen est inutile, on peut aussi considérer que les enfants sont continuellement en situation d’examen. En effet, en les observant, on peut savoir ce qu’ils apprennent. Paradoxalement, elle s’est rendu compte que les enfants de ses écoles étaient parfaitement capables de se présenter aux examens sans que cela les perturbe, même s’ils ne comprennent pas la solennité, car ils sont habitués à travailler devant des personnes qui les interrogent. C’est pour eux une simple conversation. Un enfant lui dit un jour : « C’est curieux que des personnes si instruites ne comprennent pas ce qu’on leur dit et qu’elles continuent à questionner et à questionner encore sur des sujets aussi simples ! »

Maria Montessori estime qu’après s’être préoccupé du monde extérieur, en améliorant le cadre de vie, il est temps de s’intéresser à l’âme humaine qui contient des trésors cachés que l’enfant peut contribuer à révéler.

Pour Jeanne-Françoise HUTIN, qui a préfacé l’édition de 1992 de De l’Enfant à l’adolescent de Maria Montessori, l’enfant de son époque [1992, date de la préface] y est parfaitement compris et décrit. « Elle [Maria Montessori] prépare les enfants aux exigences que la société d’aujourd’hui pose aux jeunes qui cherchent à s’y intégrer. Celle-ci leur demande des qualités bien enracinées et déjà éprouvées : qualités de savoir-faire, de culture, d’ouverture d’esprit, d’adaptabilité, de générosité, d’esprit d’entreprise, de sociabilité… Qualités qui sont en germe en tout enfant et qui ne demandent qu’à être enrichies et entraînées tout au long de la croissance. L’apport de Montessori, c’est de montrer que ces apprentissages se font tout au long de ce long chemin de l’enfance… Mais ce qu’il est intéressant de retenir, c’est le fondement de ce projet, sa préoccupation constante : aider chaque enfant à se développer, en valorisant ses potentialités, en suivant au plus près et autant que possible l’ensemble des besoins de la croissance et de la vie, et en essayant d’y répondre. Ce regard sur l’éducation change tout ! Il ne s’agit plus, dans une telle perspective, d’amener l’enfant à tel ou tel niveau de savoir-faire ou de connaissance, mais de mettre en œuvre toutes nos capacités pour aider l’enfant à conquérir ‘’son plus haut niveau’’. Cela exige du professeur, de l’éducateur, qu’il sache non seulement enseigner, mais éveiller l’intérêt, la capacité d’émerveillement, la réflexion »[57].

[57]De l’Enfant à l’adolescent– 1958

Pédagogie Maria Montessori à la maison

La pédagogie Montessori n’est pas seulement une pédagogie, c’est aussi et même surtout une philosophie de vie qui concerne l’éducation dans sa globalité. Maria Montessori affirme qu’il en va de l’avenir de l’humanité. Pour elle, le monde de l’adulte ne convient pas à l’enfant, il est nécessaire de lui créer une ambiance adaptée pour qu’il conserve son âme. Le leitmotiv de Maria Montessori est : « Aide moi à faire seul » pour les plus jeunes. Le but étant de faire de l’enfant un adulte conscient et responsable, capable de s’adapter dans notre société et dans le monde en évolution constante et qui puisse développer au maximum sa personnalité pour trouver sa réelle vocation. S’intéresser à la pédagogie Montessori et la pratiquer, doit passer par la lecture de quelques ouvrages (voir bibliographie) afin de mieux comprendre sa perception de l’enfant.

Nous pouvons observer que certains parents estiment que la pédagogie Montessori ne convient pas à leur enfant, et que cette pédagogie, comme d’autres, ne peut convenir à tous les enfants. D’une part, à son époque, Maria Montessori ne relève aucune difficulté particulière au niveau des enfants de ses classes, aucun dysfonctionnement. A travers tous ses livres, on a vraiment l’impression que tous les enfants apprennent bien. Certes, certains peut-être plus rapidement que d’autres, mais c’est tout. En gardant à l’esprit que Maria Montessori propose avant tout une philosophie de vie, il convient d’affirmer que ce n’est pas seulement l’enseignement qui est en jeu, mais l’éducation au sens large du terme, ou alors, « nous n’aurons que des hommes cultivés. Mais, nous en avons déjà tant ! ». La philosophie de Maria Montessori pourrait même s’appliquer sans aucun matériel ! L’adulte doit en permanence regarder l’enfant en se demandant : qui es-tu ? De quoi as-tu besoin pour grandir, pour développer ta personnalité ? On peut très bien proposer le matériel Montessori à un enfant, mais si, au fond de nous, nous ne voulons que imposer un savoir, des connaissances, un comportement, une discipline… cela ne peut marcher. Le parent crée l’ambiance.

Dans ses écoles, les classes voulues par Maria Montessori sont organisées par tranches d’âge : 3-6 ans, 6-9 ans, 9-12 ans (stade d’évolution différents). Elle a pu observer, dans tous les pays de cultures très diverses où elle a travaillé, le même phénomène : après quelques semaines ou mois d’utilisation de ce matériel, l’enfant « se normalise ». A un moment donné, l’enfant va commencer à se concentrer sur un matériel, et à partir de là, il va cesser d’être turbulent, envieux, jaloux… tous ces adjectifs négatifs que l’on peut attribuer à un enfant en pensant qu’ils sont normaux et que cela passera, alors qu’en fait ce sont des perversités qui s’installent par manque d’occupation intelligente. Après ce départ de concentration, l’enfant devient plus calme, plus attentif aux autres, plus respectueux du bien commun,… et se prépare donc réellement à la vie en société. Le matériel est mis à disposition de l’enfant, et celui-ci peut s’en servir, après une présentation de l’adulte, autant de fois qu’il le désire et dans l’ordre qui lui convient. L’adulte est là pour veiller à ce qu’il s’en serve correctement et pour observer son évolution, afin de lui présenter un nouveau matériel au moment opportun. L’enfant progresse à son rythme. Le matériel conçu par Maria Montessori permet à l’enfant une autocorrection. On peut craindre que l’ambiance d’une classe soit un peu anarchique, il n’en est rien. Tout se passe dans la discipline qui ne s’apprend pas mais s’impose d’elle-même. Une anecdote résume très bien l’état d’esprit d’un enfant qui évolue dans une ambiance Montessori : Dans une Casa del Bambin de Rome, une dame de la bourgeoisie vint pour visiter la classe, comme cela se faisait souvent à l’époque, et dit aux enfants « alors comme ça, ici, vous faites ce que vous voulez ? », un enfant de quatre ans lui répondit « non madame, nous voulons ce que nous faisons ». Maria Montessori veut amener l’enfant à faire exprès tout ce qu’il fait.

La démarche, l’expérience de l’enfant doit être vécue individuellement, pour permettre le développement non seulement de son orientation spatiale, de la coordinations de ses mouvements, des réponses de ses systèmes nerveux, et musculaires aux commandes cérébrales, de la précision de ses gestes et de la maîtrise de lui-même – d’où découle la concentration – mais aussi de sa capacité de penser par lui-même, de rechercher non pas le dépassement de l’autre, mais le dépassement de lui-même. Toute notion de compétition disparaît, car la construction de l’enfant ne se fait pas sur le plan collectif, mais sur le plan individuel : la construction du collectif commence toujours par la construction de l’individuel. La connaissance, la maîtrise et la commande de son corps, l’orientation spatiale, la marche vers l’autonomie sont les bases qu’un enfant peut développer à la maison et sur lesquelles les apprentissages scolaires prendront appui.

Le développement se traduit par des périodes au cours desquelles l’enfant éprouve un appel et un intérêt presque irrésistible pour un aspect particulier de son environnement. La pédagogie, que propose Maria Montessori, est donc entièrement basée sur les besoins de l’enfant et reflète cet ordre général sans négliger les fonctionnements et les particularités liées à chaque individu. Cette pédagogie favorise donc la poursuite des acquisitions de l’enfant selon son propre rythme, dans la continuité des apprentissages de bases comme toucher, regarder, s’asseoir, se lever, marcher, parler, etc. Les périodes sensibles, lors ­qu’elles sont respectées, permettent à l’enfant de faire ses acquisitions avec enthousiasme et facilité. Elles constituent des opportunités pour former et ouvrir l’intelligence au bon moment. Ce qui entraîne le développement de l’estime de soi, le goût du travail et l’envie d’apprendre. Une fois cette période sensible passée, l’enfant aura plus de difficultés et devra consentir beaucoup plus d’efforts pour développer ce qui n’a pas été acquis à temps. La connaissance de ces périodes sensibles aide l’éducateur à avoir l’attitude la plus appropriée. Elles aident à être en phase avec l’enfant et ses besoins.

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