Instruction en famille sur autorisation ? L’expérience révèle un arbitraire administratif intenable

6 mai 2021 | Communiqués, Politique

La Commission mixte paritaire (CMP) devant travailler sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République vient d’être nommée (1). Elle se réunira le 12 mai et aura notamment à arbitrer sur  l’article 21 du projet de loi.

Cet article 21, particulièrement controversé, prévoit de restreindre l’instruction en famille en exigeant l’obtention d’une autorisation administrative pour les parents qui voudraient faire ce choix pour leur enfant, sur la base de quatre critères restrictifs (2,3). Supprimé par le Sénat, ce régime d’autorisation risque d’être réintroduit sous la pression de l’exécutif.

Afin de permettre de mesurer les conséquences d’un tel régime d’autorisation à l’épreuve de la réalité, nous apportons ici le témoignage de familles qui ont déjà été confrontées à un système similaire d’autorisation administrative.

Arbitraire administratif : retour d’expérience des familles qui se voient indûment refuser le CNED réglementé par les services de l’Éducation nationale

L’inscription réglementée au CNED permet une prise en charge financière des cours par l’État pour les moins de 16 ans qui entrent dans les critères y ouvrant droit, notamment : « maladie ou handicap », « éloignement géographique ou itinérance », « pratique sportive ou artistique intensive » (4). Le retour d’expérience des familles est particulièrement instructif car :

  • ces trois critères sont similaires aux trois premiers critères prévus par l’autorisation administrative que l’article 21 vise à mettre en place ;
  • l’inscription réglementée au CNED n’est possible qu’après accord du directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN), tout comme le serait l’autorisation administrative prévue par le gouvernement pour continuer à pouvoir instruire en famille.

Alors que ces trois critères semblent relativement objectifs, l’expérience des familles montre qu’ils sont déjà interprétés de manière variable par l’administration.

Ainsi, des familles se voient actuellement refuser l’accès au CNED réglementé dans certaines académies alors que des dossiers similaires sont considérés comme répondant aux exigences d’obtention ailleurs :

« Dans notre département, le CNED réglementé est refusé d’office pour mon fils autiste. Il semble qu’il faille « rentabiliser » les efforts faits dans le département pour l’inclusion des enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA) : classes départementales, établissements spécifiques, postes créés. Le souci est que les classes en question ne nous sont pas forcément accessibles (listes d’attente pour certains centres, éloignement), ni adaptées au profil de mon fils. L’avis des thérapeutes qui le suivent et estiment que l’IEF lui convient mieux n’est pas pris en compte. Dans le département d’à côté, dès que le diagnostic d’autisme est posé, le CNED réglementé est accordé automatiquement… »                                                                              S., maman de 4 enfants

Des différences de traitement sont aussi constatées au sein d’une même académie, voire pour les enfants d’une même famille présentant pourtant le même trouble de l’apprentissage :

« Demande de CNED réglementé pour mes deux enfants de 10 ans et 6 ans présentant tous les deux un trouble du spectre de l’autisme avec hyperactivité. Le CNED réglementé a été refusé pour ma fille et accepté pour mon fils, alors qu’ils ont la même pathologie. L’entretien avec le médecin du rectorat s’est très mal passé : elle a pris ma fille en grippe dès le début en disant qu’elle était malpolie (heu non, juste autiste Asperger, donc sans filtre) […] »             Johann, papa de 2 enfants

D’autres témoignages sont présentés à la page 4.

4e motif flou, « c’est qu’il y a un loup » 

Le 4e motif prévu par l’article 21 est quant à lui particulièrement flou et soumis à de multiples contraintes : « situation propre à l’enfant », démonstration de la « capacité » des parents à instruire, dossier pédagogique détaillé ; sans oublier l’éventuelle convocation des parents et des enfants par l’inspection et la possibilité pour l’administration de revenir sur sa décision pendant 4 mois en cas d’autorisation tacite (5,6). Ce 4e motif est aussi dangereux, dénaturant l’autorité parentale en faisant porter la « charge de la preuve » de l’intérêt de l’enfant sur les parents comme s’ils étaient défaillants a priori.

L’Éducation nationale devient de fait juge des choix éducatifs des parents. Alors qu’elle est en l’occurrence juge et partie, l’autorité administrative n’aura qu’à répondre de manière péremptoire que « l’école, c’est bon pour les enfants », comme le ministère le fait déjà (7), pour refuser l’autorisation. En effet, sauf dans les cas où le système est démissionnaire face à des enfants que l’école peine à réellement inclure (handicaps ou troubles envahissants du comportement), l’administration pourra prétendre que l’intérêt de l’enfant est à l’école, jugeant unilatéralement les demandes non recevables : pas assez intensif, pas assez loin, pas assez itinérant, pas contraint par la « situation propre » de l’enfant, pas assez harcelé… (8)

Rappelons que l’objectif affiché du gouvernement est de drastiquement restreindre le nombre d’enfants instruits en famille. L’étude d’impact du gouvernement prévoit d’imposer la scolarisation à 29 000 enfants, soit deux tiers des 45 000 enfants actuellement instruits en famille hors CNED réglementé, c’est-à-dire des enfants qui correspondent à ceux dont les parents devraient invoquer le 4e motif pour pouvoir continuer.

Préserver le régime déclaratif sans contraintes additionnelles sur les familles 

L’expérience du CNED réglementé montre qu’une autorisation administrative a priori serait une «_usine à gaz » engendrant injustices et décisions arbitraires. Les familles savent qu’en cas de régime d’autorisation administrative, y compris déguisée sous forme de « déclaration renforcée » (8), elles seront soumises à un traitement inégalitaire, source d’instabilité et de stress pour enfants et parents.

Le sentiment d’injustice des familles face à des mesures visant à les contrôler toujours davantage est d’autant plus fort que ces mesures, restreignant l’exercice serein d’une liberté fondamentale, sont injustifiées. Le Conseil d’État l’a souligné dans son avis de décembre 2020 (9). Le régime déclaratif avec contrôle a posteriori fonctionne, le droit à l’instruction des enfants est respecté dans plus de 98 % des cas d’après les résultats des contrôles effectués par l’Éducation nationale (10). L’instruction en famille est déjà très strictement encadrée, il convient d’appliquer les dispositions existantes.

Afin de préserver la liberté d’enseignement en France et de conforter le rôle des parents comme premiers éducateurs de leurs enfants, laissons simplement les deux modes d’instruction – à l’école et en famille – continuer à coexister simplement pour répondre à des besoins et situations divers, dans l’intérêt des enfants.

Les associations et collectifs : 

LED’A, LAIA, UNIE, FELICIA, EELM, CISE, Liberté Éducation, Enfance Libre

 Lire d’autres témoignages à propos du CNED réglementé page 4, après les notes et références

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Notes et références :

1- https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/resume/OMC_PO782491/legislature/15

2- Depuis 1882 c’est l’instruction qui est obligatoire en France, pas l’école, permettant aux parents de choisir librement l’instruction en famille grâce à un régime déclaratif. En rupture avec les lois de Jules Ferry, l’article 21 voulu par le gouvernement vise à rendre la scolarisation en établissement obligatoire pour tous les enfants dès 3 ans, sauf dérogation soumise à autorisation. Le passage d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation signifie que c’est l’interdiction de l’instruction en famille qui s’applique alors par défaut.

3-  Alors que les chercheurs en sciences de l’éducation ont listé plus de 130 motifs pour lesquels les familles recourent actuellement à l’instruction en famille, l’article 21 voulu par le gouvernement exige que, pour déroger à l’obligation scolaire, les parents obtiennent une autorisation délivrée par l’administration sur la base de seulement quatre motifs particulièrement restrictifs :

« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;

2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;

3° L’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;

4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve (…) »

4- « Circulaire N°2017-056 du 14 avril 2017 – III.1 Les motifs de l’inscription au Cned en classe à inscription réglementée » L’inscription au CNED réglementé est à la discrétion de l’inspection académique. Le CNED n’a aucun pouvoir de décision en la matière. L’inscription libre s’élève à environ 1 000 euros par an au lycée.

5- Dans le projet de loi tel qu’adopté par les députés, le 4e motif est rédigé ainsi : « 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille. »

6- https://www.liberteeducation.com/le-regime-dautorisation-serait-un-veritable-parcours-du-combattant/

 7- Le 11 février, en plénière, Madame la députée Thill a posé la question : « Comment pouvez-vous nous assurer que l’Éducation nationale, qui veut absolument que tous les enfants aillent à l’école, n’empêchera pas les parents concernés de choisir l’instruction en famille ? […] Un inspecteur, un conseiller pédagogique ou tout fonctionnaire de l’Éducation nationale répondra que l’école s’adapte déjà à chaque enfant. De même, si je dis vouloir respecter le rythme physiologique de mon enfant, on me répondra que c’est ce que fait l’école ! »

Le même jour, le chef de cabinet de M. Blanquer nous répondait : « L’école française est une école bienveillante qui tient compte du développement de l’enfant. Elle fait preuve de toute la souplesse nécessaire à la prise en compte des besoins de chaque enfant. »

8- L’article 21 prévoyait que le choix d’opter pour l’instruction en famille en cours d’année ne puisse se faire qu’« après concertation avec le directeur de l’établissement ».

9- Plusieurs dispositions remettant en cause le libre choix de l’IEF en pratique ont été ajoutées : possibilité de convoquer les responsables de l’enfant à n’importe quel moment dès la déclaration, au risque de voir l’administration s’opposer au choix de ce mode d’instruction et de discriminer certaines familles ; possibilité d’injonction de scolarisation en cas d’information préoccupante même si le droit à l’instruction de l’enfant est garanti ; obligation de soumettre un projet éducatif à l’Éducation nationale au moment de la déclaration ; rattachement administratif à un établissement scolaire.

10- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_avis-conseil-etat.pdf

11- Rapport du Sénat n° 595 du 7 juillet 2020.

 

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