Nous relayons ici un article que nous ont transmis Valérie Vincent et Jennifer Fandard. Cet article a le mérite de mettre en exergue les chiffres concernant l’instruction en famille en s’appuyant sur des sources officielles. Il a été écrit après la médiatisation de la visite de quelques membres de la commission d’enquête sur les sectes de la communauté tabitha’s Place, mais avant la publication du rapport de cette même commission.
Menaces sur l’instruction en famille :
Non au renforcement de l’obligation scolaire !
13 décembre 2006
La commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire créée en juin dernier doit rendre son rapport le 19 décembre. Elle envisage de proposer le renforcement du contrôle de l’instruction à domicile, alors qu’un contrôle renforcé existe déjà depuis la loi de 1998.
Les conditions de l’adoption de la loi de 1998 : les dérives sectaires.
À l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale en 1998, le député Patrick Leroy tient à rappeler « qu’au moins 6000 enfants de six à seize ans seraient aujourd’hui soustraits à l’école de la République et soumis à l’emprise de sectes pour leur éducation.
Outre des menaces pour leur santé physique et mentale, ces enfants sont victimes de propagande sectaire et soumis à une manipulation dogmatique sous couvert de programmes éducatifs originaux. Leur avenir est en cause, car ils risquent d’être marginalisés et embrigadés sans disposer de l’esprit critique leur permettant de conserver leur liberté de conscience.
Il est donc indispensable de renforcer le contrôle de l’enseignement dispensé à ces enfants, pour s’assurer que les valeurs fondatrices de la République, la citoyenneté et la laïcité au premier chef, leur soient bien inculquées.»
Il s’agissait à l’époque de contrôler ces 6000 enfants (référence 1) :
- 1263 enfants seraient instruits au sein de familles dépourvues de tout lien avec les sectes ;
- 1034 élèves recevraient une instruction au sein d’une famille sectaire ;
-environ 3600 enfants seraient scolarisés dans des écoles ou établissements soupçonnés d’entretenir des liens avec une secte.
Donc non seulement tous ces enfants n’ont pas de lien avec les sectes, mais plus de la moitié sont scolarisés en présentiel.
M. Patrick Leroy déclarait qu’il ne s’agissait pas d’ouvrir un débat général sur l’obligation scolaire
mais près de 10 ans plus tard qu’en est-il de l’application de cette loi ?
Pas d’enseignement sectaire dans l’instruction en famille !
Le rapport 2005 de la MIVILUDES (référence 2) paru en avril 2006 souligne que 6000 enfants sont instruits en famille en 1998. En 2004, il n’y en a plus que 1000.
Page 110 du rapport 2005 :
« Ces contrôles, effectifs, font preuve d’une certaine efficacité : même s’ils n’en sont probablement pas la seule cause, on constate une forte diminution du nombre des enfants instruits à domicile, passé de 6000 en 1998 à 1000 en 2004. »
En réalité, l’efficacité de la législation pour éliminer ou dissuader l’enseignement sectaire a dû être soit immédiate soit inopérante, car dès la première année d’application de la loi, en décembre 1999, une première enquête auprès des inspections académiques indiquait que seulement 978 enfants étaient instruits dans la famille (au lieu des 2297 annoncés en 1998 avec ou sans lien avec des sectes) (référence 3). Le chiffre reste autour d’un millier dans les rapports successifs de la Miviludes.
On peut donc supposer que dès 1999 les contrôles concernent essentiellement des familles qui n’ont aucun lien avec les sectes. Ce que confirme le rapport 2003 de la Miviludes qui annonce que seule une école de fait semble poser un problème d’enseignement sectaire en ce qui concerne l’instruction dans la famille (référence 4).
Autre indication : pour l’année scolaire 2005-2006, les inspecteurs d’académie ou les recteurs, ont procédé à 19.000 signalements auprès des Procureurs de la République, concernant des enfants que l’on estimait être en danger. Parmi ces 19.000 enfants en danger, 8 l’étaient à cause de mouvements sectaires (référence 5). Et, sur ces 8 enfants combien sont instruits en famille ?
A quoi sert donc un nouveau renforcement du contrôle ?
Le mardi 21 novembre 2006, au moment même où s’ouvrent à l’Assemblée Nationale les séances sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance, une visite « inopinée » dans la communauté Tabitha’s Place (référence 6) par certains des membres de la Commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaires(référence 7) relance le débat sur l’emprise des sectes sur les mineurs. Ces mêmes membres qui doivent rendre leur rapport le 19 décembre proposent de renforcer encore les contrôles auprès des familles qui choisissent l’instruction en famille. Certains parlent même de rendre l’école obligatoire.
Un seul cas isolé justifierait encore plus de contrôle de l’instruction à domicile !
On peut donc constater que ce seul cas isolé sert de justification à un nouveau renforcement de contrôles alors que ces mêmes contrôles qui ont été plus systématiques depuis 1998 ont largement démontré que les familles qui font ce choix prennent sérieusement leurs responsabilités envers leurs enfants et le font pour des motifs autres que sectaires et pas seulement non plus par méfiance à l’égard de l’école.
De bons résultats pour l’instruction à domicile !
Lors d’une récente audition de deux inspecteurs généraux de l’Education nationale par les membres de la commission sur les sectes, M. Dupuis a annoncé que 2689 enfants étaient instruits en famille et qu’il y avait eu 1149 contrôles. Et sur ces 1149 contrôles, il n’y a eu que 23 mises en demeure de scolariser.
M. Jean-Yves Dupuis ajoutait : « ce qui est évidemment là aussi un chiffre relativement faible, mais il est bien entendu en plus que les enfants éduqués dans les familles ne le sont pas parce que les parents appartiennent systématiquement à des mouvements sectaires, ils le sont la plupart du temps pour des raisons purement idéologiques qui tiennent la plupart du temps à une méfiance des familles devant l’enseignement dispensé par les …par le réseau des écoles publiques. »
Les familles qui font le choix d’instruire leurs enfants le font par conviction philosophique ou pédagogique et pas seulement en réaction au système scolaire même s’il est à noter ces dernières années une recrudescence de déscolarisations en urgence pour des motifs tels que : violence, phobie scolaire, précocité, dyslexie, handicap, etc.
Le choix de l’instruction dans la famille ne peut être associée ni à la problématique sectaire ni à la problématique de la délinquance (référence 8). Si ce choix, relevant de la liberté d’enseignement, n’est pas remis en cause en théorie, il l’est en pratique et notamment à l’occasion des contrôles qui se sont durcis ces dernières années. Les familles doivent de plus en plus se battre pour défendre leur droit et elles obtiennent gain de cause, mais à quel prix ?
Associer l’instruction en famille à ces problématiques relève de la stigmatisation alors que les faits révèlent des familles responsables et qui participent à l’épanouissement de leurs enfants.
Pour un allègement des contrôles
À l’heure où certains membres de la commission sur les sectes vont remettre leur rapport le 19 décembre prochain et proposer à cette occasion un renforcement supplémentaire des contrôles, ne serait-il pas plutôt opportun à la lumière des faits exposés de demander au contraire un allégement des contrôles en remplaçant dans l’article 131-10 du code de l’éducation le terme « doit » par « peut » :
« L’inspecteur d’académie peut, à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction par la famille, faire vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 131-1-1. »
Valérie Vincent
co-fondatrice de LAIA
Jennifer Fandard
service juridique et politique de Les Enfants d’Abord