COMPTE-RENDU DE LA DÉLÉGATION DE DÉFENSEURS DE LA LIBERTÉ D’INSTRUCTION DES FAMILLES
Le 23 novembre de 14h30 à 15h30 a été reçue place Beauvau, par le Cabinet de la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, la délégation suivante :
▪ deux représentantes de l’association Led’a,
▪ une représentante de l’association LAIA,
▪ la présidente de l’association Créer son école,
▪ le directeur opérationnel des Cours Pi (établissement d’enseignement à distance), représentant aussi les associations et collectifs défenseurs de la liberté de l’instruction en famille.
Côté cabinet, ont participé :
▪ John Benmussa, conseiller en charge de la prévention de la délinquance et de la promotion de la citoyenneté
▪ Benoît Pierre, conseiller en charge de la prévention des atteintes à la citoyenneté
Le ministère de l’Intérieur a accepté de recevoir la délégation tout en soulignant à plusieurs reprises que la partie du projet de loi concernant l’instruction en famille était pilotée par le ministère de l’Éducation nationale, et donc pas de leur ressort. Les représentants de la société civile ont cependant argué que les ministres Darmanin et Schiappa s’étaient à plusieurs reprises exprimés dans les médias sur le sujet, liant l’instruction en famille aux questions de radicalisation ou à une absence d’instruction, ce que les associations ont fermement dénoncé, tout en s’associant sans ambiguïté à la volonté de lutter contre la radicalisation et le terrorisme du gouvernement, et ont réaffirmé leur attachement aux valeurs républicaines et de laïcité.
LES QUESTIONS POSÉES AU GOUVERNEMENT
Les représentants de la société civile ont interrogé le cabinet sur les buts que le gouvernement cherchait à atteindre en projetant d’interdire l’instruction en famille. Le gouvernement a mis en avant les jeunes qui n’ont aucun type d’instruction déclarée et ceux qui reçoivent une instruction non conforme aux valeurs républicaines.
Les représentants ont interrogé le gouvernement sur les statistiques et preuves fondant l’idée d’un lien entre la suppression de l’instruction en famille et la lutte contre la radicalisation islamiste. Le gouvernement a refusé de communiquer ces chiffres. Dans ces conditions, la preuve d’un lien entre IEF et radicalisation reste toujours à apporter.
Les représentants ont rappelé qu’il était pleinement nécessaire de veiller au bien-être supérieur de l’enfant et qu’il convenait d’agir contre les structures illégales dispensant un enseignement (ou « écoles de fait »). Ils ont demandé le chiffre des enfants déclarés en IEF et suivant pour autant un enseignement dans ces structures illégales. Le Gouvernement a accepté la transmission a posteriori du rendez-vous de chiffres sur lesdites structures, mais s’est refusé à transmettre ceux liés directement aux enfants concernés.
Les représentants ont aussi interrogé le cabinet sur les intentions de l’État à l’égard des familles qui ne scolariseraient pas leurs enfants et entreraient ainsi en dissidence. Le cabinet a répondu que, comme actuellement, ce serait aux services sociaux départementaux de s’en charger sur demande du procureur. Les représentants ont alors fait remarquer que les services sociaux devraient donc s’occuper d’enfants qui vont très bien alors qu’ils ont déjà fort à faire avec les situations d’enfants en danger.
LES DÉCLARATIONS DES REPRÉSENTANTS
• Ils ont demandé la communication en avant-première de l’étude d’impact. Le cabinet de Mme Schiappa a indiqué que cette demande devait être faite au Ministère de l’Education nationale– ce qui a été fait et refusé.
• Les représentants ont souligné l’absence de lien entre interdiction de l’instruction en famille et lutte contre la radicalisation et exprimé la colère des parents d’être ainsi injustement stigmatisés.
• Ils ont précisé que l’État n’avait pas légitimité à s’ingérer dans les raisons qui poussaient les parents à choisir d’instruire eux-mêmes leurs enfants. Dès lors qu’il n’y a ni violence ni emprise et que les parents acceptent d’être contrôlés, l’État n’a pas le droit de juger des raisons qui motivent les parents. Elles ont trait à la liberté d’opinion et de conscience et n’ont pas à être agréées par l’État pour avoir droit de cité.
• Les représentants ont évoqué la cellule d’évitement scolaire mise en place à Tourcoing pour insister sur le fait que l’administration pouvait trouver les enfants si elle s’en donnait les moyens et qu’il n’était donc pas utile d’abolir la liberté d’instruction en famille, d’autant qu’interdire l’IEF n’aura pas d’impact sur les enfants déjà non déclarés et les écoles de fait non conformes aux valeurs de la république.
• À propos du système de dérogations prévu dans la loi, les représentants de la société civile ont également fait remarquer l’inadaptation du système de dérogations prévu, assorti en outre du principe que l’absence de réponse vaut rejet, pour faire face à la mise en sureté d’un enfant en difficulté à l’école (harcèlement, phobie scolaire…), qui concerne chaque année environ la moitié des raisons de déclaration en IEF.
Les représentants de la société civile ont également fait remarquer que le ministère de l’Education nationale avait, lors de la réunion du 10 novembre, fermement déclaré que les dérogations ne seraient pas possibles pour des raisons d’alternatives pédagogiques, ce qui est une atteinte réelle à la liberté d’enseignement, notamment à cause de l’inaccessibilité de l’offre pédagogique alternative sur l’ensemble du territoire français, tant en terme de disponibilité que de considérations financières.
Les représentants du gouvernement ont incité à ce que les associations fassent des propositions de modification sur ces points précis auprès du ministère de l’Éducation nationale, les représentants des associations ont réitéré leur volonté que soit supprimée l’interdiction de l’IEF et leur volonté de rester sur système déclaratif comme c’est le cas aujourd’hui.
Les représentants ont mis en garde avec insistance le cabinet sur les conséquences probables de l’interdiction :
• Loin de permettre de retrouver les enfants dits « hors radar » (et donc distincts de ceux déclarés instruits en famille), la mesure aurait selon toute vraisemblance un effet inverse puisque de nombreuses familles refuseront de se voir privées de ce droit et décideront de continuer à instruire leur enfant sans le déclarer pour autant aux autorités ;
• La défiance monterait entre les familles et l’État : des familles qui étaient jusqu’à présent légalistes basculeraient dans un esprit de dissidence ou de dissimulation (fausses attestations)
• Dans un contexte où l’état de l’école publique est trop souvent défectueux, il faut s’attendre à ce que les familles exercent leur « droit de retrait », pour prêter assistance à leur enfant en danger ;
• L’isolement, notamment pour les enfants porteurs d’un handicap et non pris en charge correctement par l’éducation nationale, qui se verraient privés de la socialisation diverse à laquelle ils ont accès aujourd’hui parmi les enfants instruits en famille ;
• La stigmatisation des enfants pouvant bénéficier d’une dérogation pour raison médicale qui sera visible dans leur dossier scolaire et qui pourra négativement les impacter ultérieurement ;
Cet isolement et cette stigmatisation probable ne semblent pas, pour les représentants de la société civile, être conformes aux principes de la république.
• Les recours contentieux recherchant la responsabilité pénale du gouvernement et de l’administration se multiplieraient, à l’initiative de famille considérant que la scolarisation forcée de leur enfant le mettrait gravement en danger dans leur vie ou leur équilibre psychologique ;
• Une convergence des luttes était à anticiper, les revendications des personnes choquées par cette privation de liberté éducative trouvant un fort écho chez les autres personnes privées actuellement de leur liberté ou pas assez prises en considération (gilets jaunes, syndicalisme paysan, associations de défense des enfants en situation de handicap, association de défense de la ruralité…) ;
• Les dangers économiques d’une telle mesure sont réels. Les répercussions importantes sur le marché de l’emploi doivent être assumées par le Gouvernement. Secteur en réussite dans un contexte économique difficile et ne remettant nullement en cause le système d’éducation national auquel les français sont attachés, les Etablissements d’enseignement à distance représentent plusieurs centaines de professionnels de l’enseignement répartis dans toute la France, un corps administratif structuré, des cadres innovants dans le domaine des nouvelles technologies : une telle orientation aboutira à la mort programmée d’un secteur d’activité dynamique ;
• La disparition des solutions alternatives et d’accompagnement, aujourd’hui proposées par des structures identifiées, déclarées et reconnues, laissera les coudées franches à des cours en ligne incontrôlables qui se développent depuis l’étranger (Arabie saoudite, Egypte…). Il faut prévoir un report massif vers des solutions hors-sol pilotées depuis l’étranger, aux fonds non traçables et aux intentions discutables. Ou comment aboutir à ce que l’oncherche à éviter.
A été remis au cabinet un exemplaire de la Revue française de pédagogie (n°205) de 2020 contenant l’étude de Philippe Bongrand et Dominique Glasman sur la sociologie des familles pratiquant l’instruction en famille.
A télécharger en pdf.